Roy Cady, alias « Big Country », est un « gangster » d'origine texane. C'est un recouvreur de dette dans la ville de Jefferson Heights à la Nouvelle Orléans, pour le compte de Stan Ptitko. Tout commence un jour de juillet en 1987, une sale journée pour Roy. Il apprend qu'il a un cancer des poumons. Il n'a personne à qui en parler, pourtant il aimerait bien. Entre temps, à la demande de son patron, il se rend chez un syndicaliste pour lui mettre la pression, donner un avertissement. La routine quoi. Sauf qu'il s'agit d'un guet-apens. La fine gâchette qu'il est s'en sort presque par miracle. À la suite de quoi, un dossier compromettant sous le bras, il est en cavale avec Rocky ; une jeune prostituée débutante, naïve, fière et courageuse, qu'il a extirpée du bain de sang. le duo imposé fait route vers
Galveston, un îlot au sud du Texas, où ils s'installeront au Motel Emerald Shores.
« le passé n'arrête pas de surgir, ici. La surface s'érode sans cesse. » (P114)
Déboussolés par un changement catégorique de quotidien. le temps s'arrête pour eux. Passer d'une misère sans savoir ce que c'est que de penser à l'avenir, des journées dormantes et assassines ; à la beauté de l'instant présent, à la notion d'espoir naissant. Tout cela provoque un impact dévastateur dans la vie de ces deux personnes. C'est l'histoire de deux individus qui ont la possibilité de se reconstruire, de s'intégrer dans ce qu'ils appellent la normalité. Par où commencer quand tout devient possible ? Ils sont déstabilisés, une relation forte avec des sentiments violents (mélange de contradictions, de méfiance, de francs jeux, de confiance, de peur, de protection) est réveillée par les réminiscences du passé jusqu'alors complètement occultées. Il s'agit de survivre. Les souvenirs n'étaient que des sortes d'intuition émanant d'une époque lointaine presque confondue avec un songe. Des souvenirs anesthésiés au Johnny Walker. Il s'agit de destins croisés d'où naît un affrontement percutant. Les prémisses d'une fin de parcours rédemptrice.
Comment un homme, un cow-boy de 40 ans, drillé pour tuer, proche de la mort, va-t-il s'en sortir ? Comment se fait-il que 20 ans plus tard, Roy, devenu boiteux, un oeil en moins, le corps à la ramasse, est toujours là ? Et qu'est devenue Rocky ? C'est une petite contradiction qui intensifie le doute du lecteur qui sera taraudé entre cette fuite, ces rencontres, cette cache idéal à
Galveston, et ce moment où l'on pense qu'il aurait dû être mort d'un cancer aussi longtemps après. Belle tactique que ce jonglage entre « deux passés présents » et un « présent futur », dans un endroit où le temps s'est figé. C'est un tour de force intéressant et servi dès les premiers chapitres. Ce livre est si bien développé que le lecteur s'attache à un tueur autant qu'à cette miséreuse qu'on a envie de sauver ! C'est presque déprimant et pourtant l'auteur évite ce dérapage. Roy ouvre une porte sur son vécu, surpris par ses réactions calmes. Il subit une cure de vérité douloureuse et inquiétante, car elle est imprévue. C'est un roman noir qui raconte la vie de personnages insignifiants qui cherchent un sens à leur présence dans ce bas monde glauque, et très triste. Ils vivent une espèce de renaissance, et découvriront peut-être la normalité des choses.
Je suis sûr que vous vous êtes déjà trouvé dans une situation similaire à celle-ci : une image parvenue après coup. Ou pendant, je ne sais plus. Avec ou sans rapport… Mais elle était là.
Seul dans la forêt, le vent souffle, il incite les branches à se bousculer. Il provoque un chant de feuilles pareil à celui des vagues qui s'échouent sur une langue de plage ; pareil au chuintement intense que provoque un steak déposé cru sur une plaque de cuisson rougeoyante. Vous êtes plongés dans un instant d'absence, de concentration, d'écoute. Jusqu'à ce qu'un craquement d'une branche plus loin en dehors du chemin boisé, un aboiement d'un chien surgissant des dunes, la viande cuite à point ; attire votre attention et rompt ce moment d'absence. Un changement s'est produit.
« Mouvements lents. Couleurs changeantes. Je remarquai de nouvelles choses » (P139).
C'est avec talent que l'auteur nous entraîne dans une ambiance violente, un arrêt dans l'espace et le temps, un décor poussiéreux et étouffant. Une écriture profonde, douce et brutale, avec une insistance sur l'attitude et la réflexion intérieure de personnages tristes. Un style très proche de ceux de
Roger Jon Ellory (
Seul le silence) et de kem Nunn (Tijuana Straits). J'ai été secoué entre la tension et la curiosité. Happé par un arrêt sur image me dévoilant une société dégueulasse, j'ai chevauché une ligne du temps sombre. Un trait imaginaire où l'attention accordée au paraître devient futile et risible, où certains font tout pour échapper à la normalité ; alors que d'autres seraient prêts à n'importe quoi pour y accéder. C'est violent à tout point sans qu'il y ait des balles perdues à chaque page.
« J'ai découvert que tous les faibles ont en commun une obsession fondamentale, ils font une fixation sur la notion de satisfaction. » (P112)
« Tu nais et quarante ans plus tard tu sors d'un bar en boitillant, étonné par toutes les douleurs. Personne ne te connaît. Tu roules sans lumière et tu t'inventes une destination parce que ce qui compte, c'est le mouvement. Et tu te diriges ainsi vers la dernière chose qu'il te reste à perdre, sans aucune idée de ce que tu vas en faire. » (P188-189)