Je vois bien qu'il nous observe à sa manière, tous ses sens en éveil. Derrière l'écorce charnelle de mes camarades, je me demande ce que voient ses yeux verts. Devine-t-il des peurs tapies au fond de leur âme ? Des failles et des doutes ? Voit-il l'enfant enfermé dans la carcasse polie de l'adulte - armure, battu avec le fer, brûlé au noir, la frimousse couverte de scories ? Les yeux perdus, levés vers d'impossibles murs ? Les chaines et les poids que chacun s'impose, et les rêves secrets, qui nous poussent à croître, fines tiges d'espoir tendues vers le ciel ?
Finalement, je me dis qu’à tout prendre, un bon marché aide à instaurer la confiance.
« Très bien. Au conteur de mener le chant. Livre ton récit sans crainte : je suis l’oreille courtoise, la réponse silencieuse, l’âme et le cœur qui écoutent…
- Et la mémoire plus durable que le chêne » ajouta-t-il, montrant ainsi sa connaissance des rituels élémentaires de l’art bardique – et ce disant, un sourire subtil vient étirer les commissures de ses lèvres. « Tu es donc barde. Quel honneur d’avoir l’oreille d’un homme du Vrai-dire ! Me croiras-tu en tous points, si je te raconte des choses, disons, hors du commun ?
- Je saurai reconnaître les accents de la vérité.
Alors les Géants se tournèrent vers le soleil levant;ils chantèrent pour que poussent les montagnes ,et pour qu'elles protègent désormais de leurs ennemis, eux et leur terre d'exil.
- Ne me remercie pas, le vin libère la parole ; or j'entends bien apprendre de toi ce soir, toutes les vérités que tu m'as tenues cachées la nuit passée.
« Foutrebouc, Thibal ! Tu m’entends, oui ou brenne ? »
Bien que le ciel soit clair, il est encore très tôt. Dans ce pays, en cette saison, la nuit ne fait qu'effleurer vos paupières, à peine un battements d'heures. Sur la gabarre amarrée à la rive, tout le monde est encore endormi, à l'exception de Varagwynn le batelier qui, comme toujours, promène ses insomnies sur le pont.
Et pourtant la clarté du jour s'étiole à toute allure, présage funeste.
Je laisse aller mon corps autour de l’instrument. Les boyaux vibrent, éveillent le bois. La coque renflée me creuse le ventre. Les astres immortels s’éveillent dans ma poitrine, les saisons courent sur mon front, et d’invisibles cerfs galopent sur les mèches de mes cheveux.