Citations sur Eugène Onéguine (206)
Et si un jeune camarade
Tombe sous votre pistolet
Pour un regard, une bravade,
Un mot plus haut qu’il ne fallait,
Bref, une offense un soir de cuite,
Ou si c’est lui, brûlant trop vite,
Qui vous défie farouchement,
Dites-le-moi : quel sentiment
Vous bouleverse, vous inonde
Quand vous le voyez là, gisant
Par terre, inerte et mort, le sang
Plus froid seconde après seconde,
Quand il est sourd, comme emmuré,
A votre appel désespéré ?
Ou, sans plaisir à voir renaître
Les feuilles que l’automne tue,
Le bruit des bois nous dit peut-être
Ce qui nous est vraiment perdu ;
Ou quand les bois se renouvellent,
Leur langue, nous troublant, rappelle
L’assèchement de nos années
Qui, se fanant, restent fanées ?
Ou, dans le songe d’un poème
Nous revoyons en un instant
Un autre, un très ancien printemps
- L’écho en tremble au cœur qui l’aime -
Le rêve d’un pays serein,
La nuit, la lune, l’air marin …
Or notre été caricature
Le tiède hiver méridional,
Il brille et meurt - la chose est sûre,
Mais l’avouer nous ferait mal.
L’automne errait dans les parages,
Le ciel se chargeait de nuages,
Les jours, déjà, étaient plus courts,
Les arbres sombres, tour à tour,
Bruissaient, perdaient leurs feuilles sèches,
Le brouillard dormait sur les champs,
Les oies sauvages, en criant,
Partaient au sud - un temps, n’empêche,
Assez barbant s’inaugurait :
Déjà, novembre s’instaurait.
Elle aimait devancer l’aurore
Sur le balcon et voir les cieux
Pâlis, quand vibre et s’évapore
Le chœur des astres merveilleux -
Loin, au Levant, un coin s’irise,
De l'horizon vient une brise,
Le jour s’avance lentement.
L’hiver, lorsque la nuit s’étend
Plus longuement sur l’hémisphère,
Lorsque la lune est embrumée
Et qu’un silence inanimé
Semble engourdir toute lumière,
Seule éveillée dans le logis,
Elle lisait à la bougie.
Il était aimé…Tout au moins
Il le croyait pour son bonheur
Heureux celui qui a la foi,
Qui sait chasser le triste doute
Et s’endort dans la joie du coeur
Semblable à ce voyageur ivre
Qui trouve un lit, un papillon
Qui s’enfonce au coeur de la fleur.
Mais malheur à celui qui voit,
Qui ne cède pas au vertige,
Qui perçoit le coté hideux
De chaque mot, de chaque geste
Qui a le coeur froid car la vie,
En a fait un être lucide !
Et protège sans rien en dire
Le trésor secret de son cœur,
Source de pleurs et de bonheur.
Elle n'en fait part à personne.
Dans sa cruelle solitude,
Son amour brûle, plus violent,
Et son cœur lui parle plus fort
D'Onéguine, qui est parti,
Qu'elle ne reverra jamais,
Qu'elle hait de toute sa force,
Qui est l'assassin de son frère.
Le poète est mort, et personne
N'en a gardé le souvenir.
Un autre a pris sa fiancée.
Sa mémoire s'est dissipée
Comme une fumée dans le ciel.
Seuls peut-être deux cœurs encore
Gardent le deuil... Pourquoi ce deuil ?
Sauvage, triste, renfermée,
Pareille à la biche craintive,
Elle avait l'air d'une étrangère
Au sein de sa propre famille.
Elle n'était jamais câline
Avec son père, avec sa mère.
Au milieu des enfants jamais
On ne l'avait vue s'amuser.
Elle restait le plus souvent
À la fenêtre sans rien dire.
Ainsi vous vient (j'en fais autant)
Une amitié pour tuer le temps.
Ou bien ceci : notre poète
Au sort moyen étant promis,
Passées, de la jeunesse, les fêtes,
L’ardeur de l’âme refroidie,
En bien des points aurait changé ;
Quitté la Muse, serait marié.
À la campagne, cocu, en paix,
En robe de chambre matelassée,
Il aurait connu la vraie vie,
Avec la goutte à quarante ans.
Buvant, mangeant et s’ennuyant ;
En fin de compte, dans son lit,
Il serait mort parmi les siens,
Enfants, pleureuses et pharmaciens.