Le hasard fait parfois bien les choses. Après avoir fortuitement mis la main sur un ouvrage relatant l'histoire des rébètes,
David Prudhomme (Ninon Secrète, La Marie en plastique) a été happé par le destin de ces musiciens turco-grecs.
Rébétiko (la mauvaise herbe) est né !
Athènes 1936. Les temps sont durs pour les rébètes. le nouveau pouvoir en place, mené par le dictateur fascisant Métaxas, a décidé de faire place nette. Ces musiciens, amateurs de haschisch et d'origine turque, sont les boucs émissaires idéaux pour commencer le grand nettoyage de la société. Cette journée d'octobre est peut-être la dernière pour avoir la chance d'entendre les chansons mélancoliques et acerbes de ces artistes hédonistes et, parfois, désespérés.
Le récit se déroule sur une journée et une – longue – nuit. Dans ce court laps de temps, Prudhomme condense, résume et redistille l'esprit même de ce mouvement musical et poétique. le lecteur se retrouve réellement attablé avec les personnages. Au début, un peu surpris par tant de fougue et de violence, puis, peu à peu, ayant fait connaissance, il commence à prendre part aux festivités et finit par se retrouver à tourner sur la piste de danse. D'une gargote à une autre, en faisant bien attention de ne pas tomber sur une patrouille, il ne serait pas surprenant de croiser Corto Maltese et Raspoutine au détour d'une ruelle. L'immersion est totale.
La réalisation est soignée, mais la lecture demande une attention soutenue tant le nombre de protagonistes et d'éléments narratifs est important. Heureusement, la construction est parfaitement maîtrisée. La mise en page est toujours très claire et, même dans les scènes compliquées comme les différentes bagarres (les rébètes ont le sang chaud et le coup-de-poing facile), la lecture est aisée. La mise en couleurs permet au dessinateur de retranscrire avec réalisme les contrastes de lumière du jour avançant. le soleil aveuglant, les ombres rafraîchissantes des venelles et la noirceur des bouges sont parfaitement rendus.
Rébétiko est une oeuvre majeure. Sur un sujet à première vue confidentiel,
David Prudhomme réalise un album d'une grande intensité. À lire attentivement !