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EAN : 978B01EZL6ZDA
17 pages
BnF collection ebooks (29/04/2016)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Extrait du volume 5 de "Paris ou le livre des Cent-et-Un"
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Le café est toujours plein, autant qu'une patache de comédiens ambulants : tous les oiseaux de passage de la littérature, tous les écrivains percheurs s'abattent là.

Ils n'ont pas de résidence ailleurs qu'à la table de marbre ; ils demeurent tous au café, les uns en face du comptoir, les autres près du poêle ou bien à côté de la fenêtre.

Ils vous donnent leur adresse, si vous n'êtes ni bottier ni tailleur ; ils mangent là, ils travaillent là, ils dorment là ; c'est leur domicile ; c'est aussi leur bourse de commerce, où l'on cote le cours des théâtres, où la matière à vaudeville est offerte, marchandée et payée.

On y trouve des vendeurs de plans, pour un poulet truffé ou pour une limonade, selon que l'intérêt dramatique monte ou descend.
Car aujourd'hui les pièces ont leurs entrepreneurs, leurs coupons, leurs actionnaires anonymes ou commanditaires ; il y a des maisons de confiance, des compagnies avec leur raison sociale, des fournisseurs qui étalent sur la rue : l'esprit est à prix fixe.

Ceux qui font le bruit et remuent la salle sont les simples amateurs, grands colporteurs de nouvelles, qui connaissent les gloires de l'endroit par leur nom, et les garçons par leurs prénoms.
Qui croient gagner beaucoup en se frottant toujours aux gens d'esprit, qui ne se lavent pas la main le jour qu'ils leur ont donné la main.

Les amateurs mettent le bois dans le poêle et servent là de boute-en-train ; ils jettent leurs paroles à la tête de qui veut les ramasser, car tous les auteurs chargés de la gaieté publique sont mornes et sérieux comme des prêtres.

Ils ne répondent tout juste que pour prouver qu'ils ne sont pas sourds. D'ailleurs, brefs, laconiques et serrés autant qu'une lettre de change ou un mot d'ordre.
Il faut les voir s'observer entre eux et se craindre : ils ne font jamais rire les autres gratis ; ce serait autant de dépensé ; perte pour soi et gain pour autrui.

L'esprit, la gaîté ! c'est leur métier, leur pain, leur fortune ! Donc, rien de plus vide, de plus stérile que leur conversation ou leurs lettres ordinaires.

Ils ont une peine incroyable à parler ou à écrire quand ça ne rapporte pas ; les pâtissiers ne consomment pas leurs brioches ; je ne connais qu'un bouffon de théâtre qui soit plus triste qu'un vaudevilliste.

Il faut tant d'économie à ces réputations qui vivent des années sur un quart de pièce.
Ces avares-là sont les habiles ; mais les plus jeunes, ceux qui ne vont pas encore applaudir leurs pièces eux-mêmes, pour contrebalancer dans le monde le gros ventre des confrères, et l'importance littéraire de leurs quarante ans arrondis, parlent tout haut ; les imprudents, sans se douter que là chaque idée neuve est à vendre ou à prendre : ils sucent follement leurs petits projets dramatiques, et s'en gargarisent la bouche ouverte devant tous ces vieux ruinés qui les volent tant qu'ils peuvent.
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Dernièrement, un bon et simple et spirituel jeune homme, avec beaucoup d'avenir et peu d'argent, naïf et crédule à l'excès, ayant foi dans le talent, comme une sœur novice dans l'amour de Dieu, vint de sa province tout chargé de vaudevilles et d'espoir.

Dans ses jours de débauche et de café, il avait connu le vieux vaudevilliste.
Sans doute il avait payé plus d'un souper au vieux vaudevilliste, qui en revanche lui avait pris plus d'une phrase, plus d'un couplet.

Le jeune homme lui prodiguait tout, entre deux vins, quand il était riche, quand son esprit était du superflu pour vivre.

Mais quand son esprit devint son unique ressource, il était allé, lui jeune homme confiant, trouver son vieux débiteur, et lui avait soumis un vaudeville tout fait, tout prêt, le priant d'apostiller l'œuvre de son vieux nom, et de signer un passe-debout pour entrer au théâtre.

L'estomac n'a point de mémoire : mais comme la pièce était bonne, le vieux se ressouvint d'avoir dîné avec l’auteur ; la pièce fut présentée sous le vieux nom, jouée et applaudie sous le vieux nom, et payée au vieux nom ; et le jeune homme vendit la première moitié de sa dernière douzaine de chemises pour rembourser les dépenses de claqueurs, et autres menus frais de première représentation, de sorte qu'il fut plus pauvre après qu'avant son succès.
Encore un succès, dit-il, et je n'aurai plus de chemises !

Le vieux lui conseilla l'espérance.
Cet esprit jeune et brillant du novice allait au vieux comme un bon cheval à un lâche, comme la santé des jeunes filles à la caducité du saint roi David.
Il exploitait cette mine si pleine et si riche.

Chaque jour, c'étaient de nouvelles idées, de nouveaux filons tirés de cette tête féconde ; et le jeune homme voyait chaque jour sa détresse augmenter.
Les créanciers faisaient queue à sa mansarde.

La faim et la misère avaient creusé ses joues, et il fallait chanter quand il avait faim, faire des couplets, rire d'un bout à l'autre du dialogue quand il avait froid.

Enfin, cet autre vaudeville était achevé, et le maître, avide, promit de le faire jouer, cette fois, avec le nom de l'ouvrier.
Pour s'assurer de son protecteur, le jeune homme plus défiant, ne lui livra pas le vaudeville final qu'il garda en portefeuille, se réservant de le remettre aux mains de l'acteur le jour même de la représentation.

Cependant, la représentation fuyait de jour en jour : les regrets rongeurs du passé, les embarras présents, les inquiétudes de l'avenir assiégeaient ensemble cette frêle existence du jeune homme.

Il avait cru porter son talent écrit sur le front, et il maudissait les hommes de le méconnaître.
Oh ! quand il rentrait le soir dans sa mansarde étroite et sans feu, il la trouvait immense tout seul ; il avait froid au cœur encore plus qu'aux pieds.

Il fallait le voir quitter doucement un pantalon noir dentelé, crénelé, un pantalon à franges et à meurtrières, n'ayant plus qu'une semaine à devenir guenille ; puis, avec la même précaution et par un tour d'adresse, se sortir d'une chemise qu'il avait honte même de montrer à la blanchisseuse ; puis, pensant à son pays, à sa famille, il mourait de honte, de rage et de misère, implorant comme son salut le sommeil sans rêve (...)

De grand matin, le vieil auteur montait chez lui, pour demander les couplets.

La clé était restée à une prétention de porte... Il entre, mais la chambre est vide ; ni meuble, ni homme, rien qu'un lit qui n'est pas défait. Il se met à fureter tranquillement toute la chambre, visitant tous les coins, ne cherchant qu'une chose ; il ne trouvait pas le vaudeville final.

Au milieu de tant de misère, de solitude et de silence, il eut une idée, le vaudevilliste ; il pensa droit à la Morgue !

En effet le malheureux jeune homme avait été poussé à bout... Il ne lui était bientôt plus resté l'argent d'un dîner, ni même d'un coup de pistolet ; et ne pouvant ni vivre ni se brûler la cervelle à crédit, quand il n'avait plus qu'un sou pour se noyer du pont des Arts, alors, comme dit le facétieux vaudevilliste, il avait donné sa démission d'homme, et, las d'exister, il était venu reposer là.

Le vaudevilliste sonna au greffe, tout tremblant de crainte que les couplets ne fussent perdus.
Il se donna au gardien pour l'ami et même un peu pour le parent du noyé : à preuve, il montra de ses lettres, en demandant la confrontation de leur écriture avec celle du portefeuille ; vous pensez s'il avait déjà dit au gardien : Le jeune homme a un portefeuille ? Ce portefeuille est de maroquin vert, un peu usé? Dans ce portefeuille il y a une grande feuille détachée et remplie de couplets ?... Donnez-moi le portefeuille ?... je vous en prie, le portefeuille ?...

- Voilà ! dit le gardien, montrant les haillons pendus et gonflés d'eau, qui dégouttait sur la tête du mort.

- Et point de portefeuille ?... Mais mon vaudeville final ?...

- Que dites-vous ? reprit le gardien.

- Mais savez-vous qu'il me faut absolument les couplets pour ce soir ?... Cherchez dans les poches.... Il ne peut pas être perdu...

Le gardien comprenait peu ; il ouvrit néanmoins au vaudevilliste la cloison vitrée qui sépare les vivants des morts, qui sépare les spectateurs des tableaux, placée là comme pour dire : Vous êtes prié de ne pas toucher aux objets.

Ils entrèrent donc tous deux dans l'enceinte réservée, et se mirent à fouiller les habits... Enfin, le vaudevilliste rencontra le portefeuille de maroquin vert dans une poche de côté, il l'ouvrit, le feuilleta et rencontra le vaudeville final...

et quand il l'eut trouvé : Je le tiens ! s'écria-t-il, voyez !

Et là, tout de suite, sans sortir de cette chambre infecte, en face du mort, les pieds dans ce liquide rougeâtre, qui croupit, moitié eau, moitié sang, sur les dalles, le vaudevilliste, assis sur un lit qui était vide, ne sentant rien, ne respirant rien, ne voyant rien que son vaudeville final, lut les couplets tout d'une haleine, et les relut pour ne pas se tromper ; il les mit sur l'air, il répéta les bis, riant à chaque fin de couplet, et faisant rire de son fredonnement de vautour notre honnête gardien ; et le rire était laid sur ces deux vieilles figures, comme des habits de femme sur des corps d'homme.

Après avoir chanté d'un bout à l'autre, le vaudevilliste, qui s'était levé, disait au gardien :
- Tenez, c'est un portefeuille d'auteur... Des couplets, des chansons, bagatelles sans valeur...

Ainsi joyeux, il était sorti de la Morgue avec le maroquin vert ; il était venu prendre sa demi-tasse au café des vaudevillistes, avait fait sécher ses couplets et les avait portés à la répétition.

Le soir, ils furent chantés et applaudis...
Et le lendemain du succès, le vieux vaudevilliste, cherchant une idée, un sujet, se rappela heureusement l'histoire de la veille, et dit en frappant dans ses mains : Bon ! je ferai un vaudeville là-dessus.
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