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Citations sur Sur l'île de Lucifer (6)

La Commune libre du Plateau

— Lionel, ça vous dérangerait de débloquer les vitres ? Je voudrais baisser la mienne…
— Vous voulez que j’augmente la clim ?
— Non, il y a une guêpe, là, à l’arrière, et je voudrais bien qu’elle sorte.
Le capitaine de gendarmerie Lionel Gaufre retira la main droite du volant pour faire ce que Sylvie Mercure lui demandait, en même temps qu’il jetait un coup d’œil au rétroviseur intérieur.
— C’est pas une guêpe, assura le lieutenant de police Francesco Maronne, le passager à droite du chauffeur.
— C’est quoi ? demanda la jeune femme blonde à l’arrière en suivant du regard l’insecte qui, malgré la glace baissée, n’avait pas du tout l’air intéressé par le grand air du plateau de Millevasques et s’obstinait dans des zigzags aux alentours du nez féminin.
— Un frelon asiatique… assura Maronne.
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Ce matin-là, il faisait en plus très chaud dans la cuisine. Depuis l’aube, sa mère s’affairait autour du four avec deux autres habitantes d’Ayguière.
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Ce jour-là, Tom avait le nez bouché. Et quand ça lui arrivait, Tom paniquait. Il savait bien qu’il pouvait respirer par la bouche, mais il détestait ça. Quand on lui demandait pourquoi, il répondait qu’il trouvait qu’il avait l’air nouille, les lèvres entrouvertes (à 10 ans, Tom se regardait volontiers dans les vitrines et les miroirs). Ou alors, il disait qu’il n’aimait pas « la sensation de sécheresse dans sa cavité buccale » (il connaissait beaucoup de mots pour son âge). Mais la vérité, c’est qu’il avait peur d’oublier d’inspirer et d’expirer : car d’après lui, dès qu’elle passait par sa bouche, la respiration cessait d’être automatique. Donc, quand il avait le nez bouché, il se surveillait en permanence, inquiet à l’idée d’étouffer, et son inquiétude lui donnait l’impression d’étouffer. Le lecteur qui observera que cela fait bien des complications et des tourments pour un enfant de 10 ans va devoir se rendre à l’évidence : il a oublié ce que c’est d’avoir 10 ans.
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Tom découvrit le corps.
As du téléchargement, il avait assez vu de films gores pour reconnaître le cadavre d’un homme à qui l’on vient de planter un pieu dans la poitrine.
Tétanisé, le garçon fixait le mort. Il inspira, expira plusieurs fois, bruyamment, par le nez. Son regard ne pouvait se détacher de la poitrine inondée de sang. « La poitrine », pensa-t-il. Le sanglot qu’il avait réprimé tout à l’heure face aux filles éclata.
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Elle s’était assise sous l’ombrelle d’un énorme saule dont la chevelure, passant par-dessus elle, allait se tremper dans l’eau étale, de sorte qu’elle pouvait suivre sans être vue les évolutions calmes d’un canard de Poméranie. Deux hautains Suédois à cou noir émergèrent sans bruit des roseaux et vinrent mêler leurs arabesques aquatiques aux siennes. Un duo de rondouillards Pékin et une femelle d’Arlequin gallois au cou couleur de miel les rejoignirent. Puis un bruit du côté du cimetière déclencha un brusque envol général au ras de l’eau d’abord et depuis le faite des arbres ensuite. Les volatiles avaient disparu.
Une porte étroite et basse, que Sylvie n’avait pas remarquée jusque là, s’était entrouverte dans l’enceinte du cimetière. Des êtres de petite taille en sortirent, sur deux ou quatre pattes. Comme la troupe zigzaguait entre de gros massifs de rhododendrons aux corymbes bleus, la capitaine repéra quatre filles, trois garçons, trois chiens, deux chats et un lapin blanc. Ce dernier était juché sur les épaules d’un des garçons, un épagneul ouvrait la marche et deux patous à l’abondante fourrure blanche encadraient le cortège tandis que les chats, qui s’étaient glissés au-dehors juste avant que l’un des enfants referme la porte, semblaient suivre plus ou moins le groupe avec cet esprit d’indépendance qui caractérise leur espèce : en s’arrêtant pour se gratter, en revenant soudain en arrière pour examiner quelque chose à terre, en bondissant tout à coup sur le côté pour tenter d’attraper quelque chose de plus rapide qu’eux. Mais enfin, le mouvement général était bien celui-là : tout le monde se déplaçait ensemble. Ils contournèrent l’étang, chacun à son allure, jusqu’à se regrouper sur une plage de vase séchée à quelques mètres de Sylvie. Au bord de l’eau, comme une énorme canine gâtée, un tronçon de tronc noirci émergeait de la vase et la troupe se disposa devant lui en arc de cercle. Les deux filles les plus grandes, maigres et anguleuses, s’avancèrent en tenant entre elles, mains serrées sur les avant-bras, un garçon nettement plus petit.
Abritée des regards par les feuilles du saule, la capitaine observait le manège.
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Sans que personne ne s’en aperçoive, Tom était donc sorti par la porte de la cuisine qui donne, à l’arrière de la maison, sur une vaste pelouse tondue bien court par la trentaine de gallinacés qui y vivent. Il avait traversé en biais la prairie, en faisant un crochet pour éviter la cabane de la volaille, car il avait aperçu sur le seuil Philibert qui l’observait de biais, la crête courroucée. Le coq nègre-soie était le seul rescapé d’une attaque de poulailler par un chien fou et il avait été exfiltré dans la colonie gérée par Lorraine, la mère de Tom. Arrivé le cul déplumé, une aile rognée, la tête en sang, il avait pu se rétablir physiquement, mais, comme tant de rescapés de guerres ou d’attentats, son humeur avait été irrémédiablement entachée par la violence subie : quand ça lui prenait, il attaquait n’importe quoi, visant les yeux. Vu sa petite taille, il n’était pas bien dangereux, mais c’était désagréable, il n’y avait pas moyen de le raisonner.
Tom utilisa le bâton prévu à cet effet pour appuyer sur le bouton de la batterie et désactiver le filet antiprédateurs, qu’il franchit en courbant un piquet souple. Puis il pressa de nouveau la commande qui se remit à clignoter. Aspirant l’air par à-coups nerveux, le garçon entra dans la hêtraie. Le sous-bois était épais. Mais Tom partageait avec les blaireaux la connaissance d’un mince sentier sillonnant la pente. Au fur et à mesure qu’il le descendait une sensation de fraîcheur l’envahissait. Bientôt il entendit, de plus en plus fort, le froissement continu des eaux de la Vieille. En ce point du plateau de Millevasques, à quelques kilomètres de sa source, la rivière n’est qu’un gros ruisseau ourlé de libellules. Des voix montaient vers lui, qu’il reconnut aussitôt. Les jumelles.
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