Pour prendre une juste idée de la direction du génie de Michel-Ange dans Fart de la sculpture , qui occupa presque exclusivement ses premières années , et dut exercer une assez grande influence sur son goût, il faut se rendre compte de l'état général des arts en Italie , à l'époque où il naquit , et particulièrement du point où en était la sculpture , surtout à son égard , dans le demi-siècle qui précéda sa naissance.
Ce mérite, qui tend à donner, dans la sculpture, ce qu'on appelle métaphoriquement, la vie au marbre, dépend de beaucoup de conditions, qui se sont fort rarement trouvées réunies dans le travail du plus grand nombre des sculpteurs modernes. Il y entre avant tout, de la part de l'artiste, un sentiment qui ne saurait se commander, et qui serait encore plus difficile à définir. Le maniement de l'outil, dit-on, y entre pour beaucoup. Sans doute; mais qui pourrait expliquer le moteur moral de cet instrument ?
Eh bien, ce qu'on doit affirmer, c'est que Michel-Ange est du très petit nombre des statuaires, qui ont eu le privilège de donner la vie à leurs marbres, et c'est ce qu'on voit surtout à ceux des Médicis.
Ce qu'il y a de plus remarquable et de plus évidemment prouvé par l'histoire de l'époque qui vit paraître Michel-Ange, c'est que, dans le fait il n'eut en sculpture, et pour la science du dessin (comme imitation du corps humain), aucun contemporain sur lequel il eût pu se modeler. Donatello, nous l'avons déjà dit, et Lorenzo Ghiberti l'avaient précédé d'un demi-siècle, et leur art s'était surtout exercé dans les entreprises de bronze. Quant à l'art du sculpteur en marbre, les faits seuls démontrent qu'il n'aurait pu trouver ni leçons ni modèles, chez aucun auteur ou dans aucun monument contemporain.
Laurent-le-Magnifique avait donc compris qu'il manquait alors à la sculpture, ou, pour mieux dire, à son enseignement (au défaut de celui que la vue habituelle de la nature nue avait multiplié en Grèce), un corps de doctrine sensible, résultat des ouvrages même de l'antiquité. Ce fut par l'étude de divers morceaux ou fragments de sa sculpture, dont la recherche avait déjà commencé à Rome, qu'il imagina d'éveiller le goût et l'ambition de son pays. Il se mit donc à recueillir, en les achetant de toutes parts, des morceaux d'antiquité dont il orna son palais et ses jardins.
Toujours est-il, qu'au temps où l'on voyait éclore chez le jeune Michel-Ange une capacité déjà prodigieuse dans l'art du dessin, Laurent de Médicis formait à grands frais, au milieu de son palais et de ses jardins, une collection, jusqu'alors sans exemple, de morceaux et de restes de sculptures antiques, dans l'intention de donner un nouvel essor aux arts du dessin, mais surtout à la sculpture, qui, depuis un assez bon nombre d'années, n'avait produit à Florence aucun talent remarquable.