« Mon électroquant se vide de son sang.
Le liquide de refroidissement forme une grande mare autour de son corps, et de minuscules ruisseaux vaporeux s'écoulent dans les rainures des dalles de béton jusqu'à la plaque de métal sur laquelle je me tiens. C'est comme si cette humeur chaude et visqueuse, qui s'échappe de sa tête fracassée, était autonome et cherchait à s'infiltrer dans le sous-sol pour dégouliner sur les dissidents et se venger.
Tout s'est passé très vite. »
Ainsi commence «
Les rêves qui nous restent », polar SF qui nous propulse dans son univers post-effondrement et m'a accrochée dès les premières lignes pour ne plus me lâcher.
Lors d'une échauffourée avec des dissidents, Natalio, un policier de classe 5, la plus basse dans l'échelle de la hiérarchie, perd son électroquant, cet acolyte androïde – prolongement de soi-même que chacun juge indispensable. Dès lors, malgré sa disette financière, il n'a de cesse de le faire réparer … et préfère ne pas s'attarder sur ses étranges anomalies de fonctionnement.
Au fil des pages, le lecteur appréhende l'univers délétère où (sur)vit Natalio, cet homme que les « événements d'Oslo », comme tant d'autres avec lui, n'ont pas épargné. Les tensions sociales sont exacerbées au sein de la multitude entassée dans la City, pour les plus chanceux, ou alors dans la vieille ville tout autour, séparée d'elle par des murs. Seuls quelques rares îlots de nature et de beauté surnagent de par le monde, à l'usage exclusif de la classe riche. Pour accéder à un coin d'herbe, au quotidien, il faut payer. Les laissés pour compte sont majoritaires et parmi eux nombreux sont ceux qui succombent aux sirènes de Rêves Différents, où on peut signer dès 14 ans : plus de deux millions ont ainsi accepté, en échange d'une vie littéralement de rêve offerte gratuitement, d'être mis en stase dans des entrepôts où leur ADN est utilisé pour prolonger la (belle) vie des privilégiés qui en ont les moyens.
L'enquête dont Natalio se voit chargé concerne précisément Rêves Différents. Une erreur d'identité vient d'y être détectée, anomalie inadmissible qui remet en question l'intégrité du système.
En filigrane des investigations de Natalio, on suit l'étonnant flux de pensées de son électroquant …
«
Les rêves qui nous restent » dépeint avec brio un monde où l'homme a perdu pied, où l'Intelligence Artificielle s'interroge sur elle-même et sa vie tout en s'immisçant dans celle des hommes (les fameux « événements d'Oslo », dont on découvrira la teneur, en témoignent), ceux-ci s'agrippant en vain aux bribes de leurs existences dévastées.
Je ne connaissais pas
Boris Quercia, auteur chilien de romans policiers. Il fait ici une incursion très réussie dans un autre mauvais genre (j'adore cette qualification), celui de la SF, et si les thématiques évoquées ne paraissent pas originales, leur traitement, lui, l'est, si bien qu'on n'a jamais une impression de déjà lu.
Court mais dense, désespérant mais vibrant d'humanité, «
Les rêves qui nous restent », roman punchy mené tambour battant, laisse son lecteur sonné une fois tournée la dernière page.
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