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Gilles Marie (Traducteur)
EAN : 9782365331289
176 pages
Asphalte (06/10/2023)
3.84/5   16 notes
Résumé :
Victor est l’un des maillons de la Société du peuple libre. Sa mission : convoyer la dernière copie du NEURON, réseau alternatif qui représente le dernier espoir de liberté dans un monde totalitaire. Quand il tombe entre les griffes de la police centrale et ses robots carcéraux, tout semble perdu.

Mais, contre toute attente, le NEURON commence à se répliquer de lui-même… Ce retournement de situation met à mal les plans de Nivia, policière infiltrée à ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Victor est poursuivi par les forces de l'ordre. Il vient de récupérer la dernière sauvegarde du NEUTRON, la dernière chance de survie de la Société du peuple libre. Il doit absolument la transmettre à un dernier contact afin de brancher cette copie sur les réseaux et multiplier ainsi la mémoire contenue dans ce petit cube. Permettre à des milliers de personnes d'échapper aux régimes totalitaires qui les dominent.

Tout commence sur les chapeaux de roue. de l'action, haletante, servie par un rythme découpé : de courts chapitres, qui se succèdent, avec changement de point de vue à chaque fois. On est dans la tête de Victor, qui tente d'échapper au pouvoir et à ses sbires, armés et violents. C'est une course contre la montre et contre une puissance étatique solide et sans pitié. S'il est capturé, il sait déjà que ce sera la torture la plus radicale, la plus atroce. Sans considération pour l'être humain qu'il est et qu'il cessera rapidement d'être pour se voir transformé en enveloppe de chair sanguinolente et souffrante. Car on est aussi dans la tête de ses poursuivants. Dont on comprend les motivations. Et, surtout, la volonté sans faille. Rien ne doit se dresser entre eux et leur but. Surtout pas des individus : « Quand un État utilise tous les moyens dont il dispose pour écraser un mouvement autonome, la vie devient une monnaie d'échange dépréciée qui finit par ne plus rien valoir du tout. » le constat est terrifiant. Dans cette société, composée de nombreux états liés entre eux par les mêmes règles, le même cadre totalitaire et sans aucune considération pour la vie de ceux qui les habitent, vivre est devenu un luxe.

Boris Quercia ne fait pas dans la dentelle : cet avenir qu'il imagine reprend le pire de tout ce que nous connaissons. Un pouvoir militaire qui se déchire régulièrement, avec des coups d'état qui n'en portent pas le nom mais en sont tout de même. On prend les mêmes et on recommence, ad nauseam. Une surveillance informatique (merci aux caméras disposées partout et aux appareils électroniques connectés) absolue, à laquelle il est difficile d'échapper, corsète le pays. Quand on est reconnu ennemi, on peut être torturé sans aucune retenue. D'ailleurs, un des personnages principaux résume assez bien cette philosophie : « Quelque chose me perturbe, quelque chose que je n'arrive pas à déchiffrer, mais qui me gêne profondément. Dans ma profession, quand quelque chose gêne, il faut s'en débarrasser. On tire d'abord, on pose les questions ensuite. » Et les cadavres disparaissent ensuite, laissant les mères désespérées, sans corps à pleurer. Ce qui m'a fait évidemment penser aux desaparecidos d'Argentine, dont les dépouilles étaient jetées en mer depuis des avions afin de faire disparaître toute trace.

Comme dans son précédent roman, Les Rêves qui nous restent, Boris Quercia imagine un futur sombre, très sombre. Un personnage exprime parfaitement cette tonalité : « le monde est une marmite, on ne peut pas en sortir. Les voyages spatiaux ont beau nous emmener toujours plus loin, on n'ira jamais jeter un oeil en dehors de notre système solaire, pas plus qu'on ne rendra habitable un autre bout de caillou en orbite, comme le nôtre, autour du soleil. La seule chose à laquelle on peut aspirer, c'est d'y envoyer des consciences humaines dans les mémoires des ordinateurs, mais une fois qu'elles arriveront à destination… Que se passera-t-il ? Rien, elles se mettront à monologuer à l'infini jusqu'à ce qu'elles deviennent folles. On ne peut pas sortir d'ici. » le passé revient sans cesse dans les têtes. Il marque notre avenir. Pour résumer, on est foutus et aucun espoir ne subsiste. A-t-il raison ? A-t-il tort ? Les dernières pages des Derniers maillons offrent une réponse, tout en délicatesse.

Comme on peut le voir dans la citation précédente, l'auteur ne place pas tous ses espoirs dans l'informatique : le transhumanisme n'est pas le modèle à suivre, la possibilité de transférer des consciences dans d'autres corps, voire dans des objets n'est pas la panacée. le corps fait de chair et de sang manque. Les interactions avec les autres manquent. Un autre personnage le dit très bien : « Selon Victor, n'être qu'une conscience est épuisant, la vie doit être un bref passage dans le monde, comme une fleur printanière ou un beau dimanche à la plage. Se perpétuer ainsi n'a aucun sens. » Cependant, ces outils peuvent apporter des avantages. La preuve, dans ce roman, la liberté vient du NEUTRON, sorte de blockchain reliant tous les membres de la Société du peuple libre. Son existence est la seule porte de sortie d'un groupe refusant la tyrannie. Et y croire permet d'être libéré. Comme une sorte de Dieu. Dont Victor serait le Messie, lui qui transporte l'objet sacré. D'ailleurs, jusqu'au bout, on ignore ce qu'est réellement ce NEUTRON, présenté comme la solution miracle, avec la croyance comme seul moteur. On bascule alors dans la critique ironique en filigrane des croyances aveugles qui entraînent des bouleversements et des souffrances.

Sur ce dernier point comme sur les autres, Boris Quercia ne rentre pas dans les détails. Certains pourront le regretter, aimant les contextes fouillés ; d'autres apprécieront ce choix qui apporte une portée plus grande au texte et optimise le rythme du récit. En tout cas, il ouvre des pistes, nombreuses. Et surtout, nous offre un roman prenant, dans lequel on s'immerge immédiatement et on ressort en apnée. Les derniers maillons, encore inédit dans sa langue originale (ceci est la première publication mondiale du roman, il est important de le signaler), confirme le talent de cet auteur, observateur sans concession de notre monde et de ses dérives.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Alors que son précédent roman - Les rêves qui nous restent - vient de paraître au format poche aux éditions Pocket, le Chilien Boris Quercia poursuit son exploration science-fictive chez Asphalte avec Les Derniers Maillons. Il y explore cette fois les rouages d'un futur cyberpunk à l'aune d'une révolution humaine et technologique, le tout dans une traduction aux petits oignons signée Gilles Marie
Place à la révolte !

Le monde n'est plus le même, il bruisse de colère et d'espoir.
Boris Quercia imagine une société autoritaire forgée dans le creuset de la guerre et qui perdure grâce à la poigner de fer de l'Alliance des États Associés. Pourtant, des cendres de la liberté d'hier, des braises rougeoient. 
Grâce au NEURON, un réseau virtuel clandestin qui s'étend désormais à travers toutes les strates de la société, des dissidents rêvent de renverser le pouvoir en place et de construire autre chose, de plus beau, de plus fort.
Victor, l'un des plus fervents et influents Neuronistes, doit transporter un cube de données abritant le serveur principal du NEURON afin de le confier à d'autres partisans. Malheureusement, tout dérape et Victor se fait prendre. Il découvre alors que Nivia, sa petite amie, l'a trahi, qu'elle était du côté du gouvernement et des puissants. Pris au piège, il espère encore que Raul, commandant des Neuronistes, négocie sa libération. Un espoir fou.
Mais une chose étrange se produit : aucun des geôliers ne s'empare du cube. Personne ne semble le voir alors qu'il est là, au creux de sa main…
Dans ce futur incertain, l'auteur Chilien convoque les peurs classiques de la dystopie (un état omniscient et intrusif, des services de sécurité impitoyables, l'étouffement des libertés individuelles…) pour les accommoder à la sauce ultra-technologique. 
En somme, un beau cocktail cyberpunk où des marginaux tentent de renverser un gouvernement totalitaire. Oubliant pour un temps les implications technologiques de sa révolution, Boris Quercia adopte une approche plus inattendue en filant la métaphore sociale et religieuse. 

On découvre en effet assez rapidement que le NEURON est l'objet d'une quasi-vénération de la part de ses partisans. La technologie, aussi ébahissante soit-elle, devient un acte de foi, un culte secret de plus en plus encombrant. Que ce soit dans le discours de son dirigeant ou par le martyre de Victor, tout concourt à rendre la croyance plus forte que la science. 
Boris Quercia regarde ce nouvel horizon avec malice, constatant avec froideur que l'homme reste incorrigible, préférant la croyance et la vénération à la raison. 
Comme un miroir déformant, le NEURON montre une société qui n'est qu'un éternel recommencement. Avec cette révolution à la Volodine qui ne fait que rejouer la même partition, une partition vouée à l'échec et au Bis repetita, comme si les lendemains n'étaient que des mirages pour l'homme en quête de jours meilleurs. 
Si le gouvernement en place s'avère aussi autoritaire que sanguinaire, Raul, le prophète du NEURON, ne prévoit pas autre chose pour son propre règne. Ce qui touche vraiment dans l'univers imaginé par Boris Quercia, c'est sa capacité remarquable à humaniser ses personnages par petites touches, transformant notamment Nivia, son Judas de service, en une autre victime de la guerre et de la foi. 
Au sein de cette relecture « christique » de la figure du hacker, le Chilien observe l'amour et la peine des proches du martyr, de la mère désespérée à l'amoureuse éplorée. Ainsi, Les Derniers Maillons explose son carcan science-fictif pour mettre à nu nos craintes et nos espoirs, cherchant au coeur des ténèbres la mince lueur fusionnelle d'un amour privé de corps, comme un pied-de-nez envers une humanité condamnée à errer encore et encore, trompée par le pouvoir et la foi jusqu'à la fin de temps. 

Les Derniers Maillons subvertit le genre cyberpunk pour nous convier au martyr et à la révélation. Boris Quercia imagine des êtres dévorés par le désir, le fantasme et la passion, des personnages cruellement humains consumés par leur destin ou par leur passé alors que le monde autour s'écroule pour se reconstruire encore et encore…et encore… mais pourquoi ?
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Après avoir lu dernièrement et apprécié le précédent roman de Boris Quercia "Les rêves qui nous restent", j'avais très envie de découvrir son nouveau roman à paraître le 6 octobre "Les derniers maillons" qui nous parle de divers sujets forts.
Tout d'abord, nous sommes dans une société sous dictature, un groupe politique libertaire essayé de monter au pouvoir ou du moins de s'imposer auprès de la population, celui-ci est monté comme un réseau de résistants.
Le personnage principal "Victor" se retrouve à assurer le transport d'une base de données unique mais les autorités sont sur ses traces. Tout va déraper.
J'ai vraiment apprécié les personnages de Victor et de Nivia (qui est surprenante dans son rôle).
Oppression, trahison, espionnage, coulisses du pouvoir, manipulation des politiques, traque et torture sont au menu de ce roman mais aussi les avancées technologiques tels que la prison ultra moderne, les exosquelettes, et à ma grande surprise, le transfert d'âmes, ce dernier point est important, bien exploité, sans excès et avec intelligence de la part de l'auteur.
Le tout m'a fait penser à un mélange (sans que ce soit copié) entre Matrix et 1984.
Je ne peux pas vous dévoiler plus de choses sans spoiler donc je finirai en vous disant que la plume de l'auteur est incisive, dynamique mais réfléchie, que ce livre se dévore et que la fin est très surprenante.
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Cyberpunk is not dead : dans un Chili qui sait ce que le fascisme veut dire et faire, une anticipation trépidante qui ne mâche pas ses virevoltes rusées et ses questionnements obsédants.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/30/note-de-lecture-les-derniers-maillons-boris-quercia/

Tout démarre par une poursuite effrénée, l'une de ces scènes puissamment cinématographiques qui ont longtemps fait la joie du cinéma à la John Frankenheimer : Victor est l'un des derniers passeurs (un des derniers maillons d'une chaîne de lutte et de solidarité, plus précisément) d'un mystérieux artefact d'informatique avancée, le NEURON, censé garantir la sécurité totale des communications de la Société du Peuple Libre, groupe de résistantes et résistants de l'ombre face à un état totalitaire puissamment panoptique. Mais quelque chose s'est mal passé au fil de cette transmission : le groupe a peut-être été infiltré, la chaîne est sous tension, quand la surveillance se focalise sur deux de ces derniers porteurs de la flamme. Cavalcade dans les rues de Santiago chères à l'auteur chilien et au héros de sa précédente série de polars endiablés, Santiago Quiñones, jusqu'au port de Valparaiso. Arrestation, interrogatoire, haute sécurité. Pourtant, les forces de l'ordre en partie robotisées qui ont saisi Victor ne font pas mine de récupérer le NEURON, objet officiel de leur investigation en forme de poursuite, que le détenu garde précieusement serré au creux de sa main. Qu'est donc censé être le rôle exact de ce sésame cybernétique ? Quel est le rôle de son amie Nivia, membre de la Résistance que la traque semble curieusement ignorer ? Quels sont les buts ultimes de Raul, le leader de la Société du Peuple Libre ? Ces questions lancinantes convergent vers leur clé à toutes : comment affronter le totalitarisme et le fascisme de moins en moins rampants sans devenir semblable à son adversaire, dans la foi aveugle comme dans l'utilitarisme absolu ?

Avec ce deuxième roman de science-fiction, publié chez Asphalte en 2023 (dans une traduction de Gilles Marie), deux ans après « Les rêves qui nous restent », venus tous deux après sa novélisation en 2008 de son propre film de 2003, « Sexo con amor », et surtout après les trois volumes des aventures policières de Santiago Quiñones, « Les rues de Santiago » (2014), « Tant de chiens » (2015) et « La légende de Santiago » (2016), l'acteur, réalisateur et auteur chilien Boris Quercia nous prouve avec un extrême brio – devant emporter normalement l'incrédulité des plus sceptiques – à quel point le noir du polar et du thriller se mixe profondément bien avec les couleurs plus ambiguës de la science-fiction. Ridley Scott, après Philip K. Dick, ne se contentait pas dans son « Blade Runner » de fournir des imperméables mastic et des petites cocottes en papier aux collègues d'Harrison Ford, de même que Mark Fergus et Hawk Ostby, après James S.A. Corey (Daniel Abraham et Ty Franck), dans « The Expanse », n'investissaient pas uniquement dans le fédora (ou porkpie, ou trilby, les avis des spécialistes ne sont pas unanimes) de Thomas Jane : comme eux, et bien au-delà des éléments de décor et d'atmosphère, Boris Quercia va beaucoup plus loin, et sait produire des pas de côté fondamentaux, tirant tout le parti des possibilités du détour science-fictif.

Surtout, Boris Quercia, évoluant au sein d'une société qui n'a pas fantasmé le fascisme, mais qui l'a subi en profondeur sous la dictature loin d'être totalement refroidie de Pinochet et de ses sbires, avec son cortège insensé de meurtres, de disparitions et d'éliminations des éléments subversifs – au nom de l'ordre et de l'économie, bien sûr -, nous montre avec un extrême brio, en travaillant au corps aussi bien la solidité et l'évolutivité des idéaux révolutionnaires, libertaires ou égalitaristes (certains courants souterrains traversant le post-exotisme d'Antoine Volodine et de ses hétéronymes ne sont parfois pas si loin – dans une entreprise linguistique fort différente, il est vrai) et l'utopie hacker (on songera sûrement à certaines facettes de Pierre Ducrozet, de Pia Petersen ou de Sabrina Calvo), que le cyberpunk, en tant que genre artistique et creuset culturel, lorsqu'il ne se contente pas de produire du même dénervé à destination de la consommation passive de masse, est, comme son inspirateur punk authentique, loin d'être mort en tant que machine inspirante et agissante – dans un questionnement perpétuel et nécessaire de ses objectifs comme de ses pratiques.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Magnétique, serré comme un café fort, « Les derniers maillons » est sombre et captivant Un page turner frénétique et sous ses faux-airs d'un roman d'anticipation, s'élève une fable envoûtante. Une satire finement politique.
La science-fiction en apogée, « Les derniers maillons », est inédit mondialement. Nous devons cette naissance littéraire perfectionniste, aux Éditions Asphalte.
N'oublions pas la trilogie de Boris Quercia « Santiago Quiñones » dont « Tant de chiens » a été adaptée en série télévisée et qui a reçu le Grand Prix de littérature policière, et le fabuleux « Rêves qui nous restent », publiés en 2021.
C'est dire combien Boris Quercia est un auteur confirmé.
« Les derniers maillons » est une caricature futuriste des prismes totalitaires. Victor est une jeune homme, l'emblème de la Société du peuple libre. le Chili est toile de fond.Un dernier maillon, celui qui détient le Neuron. Mais avant cela, il est missionné par ses pairs, afin d'acheminer la dernière copie du Neuron, la seule issue dans un monde de dictature. le dernier espoir d'une liberté.
Le récit est crissant comme sur de la glace. La polyphonie aère l'histoire. Nous sommes en pleine écoute d'un évènementiel glaçant, aux multiples signaux. « L'avenir de la Société du peuple libre repose dans ma main ».
Il va vite se rendre compte que Nivia, sa maîtresse est une traite. « Les agents m'attrapent violemment par les bras, sans même me poser de question… Je me recroqueville dans un coin, nu, transi, sanguinolent, avec mon petit cube dans la main que je trouve finalement presque chaud ».
Alicia, sa mère veut le retrouver. Ce passage sonne comme un écho de la dictature chilienne. « Un paria, un fugitif, mais il ne deviendra jamais un disparu, pas tant que je serai en vie. Je ne peux pas faire retourner mon fils dans mon ventre, ais si j'avais pu, je vous jure que je ne l'aurais jamais fait venir dans ce monde désormais sans pitié, où les mères doivent remuer ciel et terre pour essayer de retrouver les dépouilles de leurs enfants ».
La trame est le voile lacéré de l'humanité. D'un côté l'idéologie et la liberté de conscience, les subversifs. de l'autre la notion du mal, et l'oppression, les tortionnaires et les filatures. Un état-monde totalitaire. Victor devient Neutron.
« Le temps a perdu toute valeur. On n'y pense généralement pas, mais la valeur des choses dépend des circonstances qui leur sont associées. Rien n'a de valeur en soi, intrinsèquement. Rien. Ni l'or, ni l'eau. Il suffit de se rappeler les légendes du roi Midas ou de l'arche de Noé, la valeur des choses dépend du besoin que l'on a d'elles et le temps a cessé s'être un paramètre. Je n'en ai plus besoin ».
« Les derniers maillons » « est digne d'un génie évident. La trame est frénétique et ses arrières plans sont des points lumineux. Les questionnements philosophiques, la pesanteur : le totalitarisme, la grâce : la liberté sont dévoilés sans distance. Il y a de la bienveillance, des sentiments, des trahisons, des prises de pouvoir, l'oeuvre du mal. Ce roman aux multiples signaux est la prononciation des dictatures. Certes, la fusion fantastique et étrange est comme un masque qui tombe subrepticement.
« Les mots sont comme des outils et les paroles de Victor renferment toujours quelque chose d'utile ». « Pourquoi mes cheveux sont-ils blancs ? Pour aller avec tes yeux aveugles ». « On n' a pas besoin de grand-chose pour exister, seulement d'un peu d'électricité, que le noyau de ce cube produit et continuera de produire aussi longtemps que durera cette planète… Enfin nous finirons bien par mourir comme tout le reste, nous sommes nés pour cela ».
Magistral, puissant et ce livre est le dernier maillon, celui d'un texte infiniment sensible et percutant. Traduit de l'espagnol (Chili) par Gilles Marie. Les Éditions Asphalte prouvent une nouvelle fois leur haute qualité éditoriale.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Une machine me tient suspendu par les poignets tout en m’aspergeant avec un jet d’eau d’une telle pression que j’ai l’impression que des centaines d’aiguilles se plantent dans ma peau, déchirant chaque pore. Je hurle comme un chat qu’on écorche pendant que le jet s’attarde sur le moindre centimètre carré de mon corps, m’écrasant les testicules, arrachant la boue et les croûtes de sang.
Cela cesse enfin.
Le robot carcéral m’emmène ensuite, toujours suspendu, dans un couloir de la prison. Je dégouline comme un christ après le martyre. Malgré tout, je continue à serrer le poing, ils ne m’ont pas encore pris le NEURON.
C’est absurde. C’est la première chose qu’ils auraient dû faire, c’est incompréhensible.
Nous entrons dans un tunnel de séchage, une rafale d’air chaud m’enveloppe, l’odeur du désinfectant me submerge et il devient difficile de respirer. Sous mes pieds, une trappe grillagée s’ouvre sur un puits dont on ne voit pas le fond. Avant que je puisse réagir, le robot carcéral me lâche les poignets. Je tombe. Je contracte tous mes muscles, me préparant à l’impact, mais j’atterris sur un sol capitonné. La grille se referme au-dessus de moi. Je me recroqueville dans un coin de cette cellule matelassée pour me protéger, pour protéger le NEURON autour duquel je me roule en boule, je ne sais pas encore ce qui m’attend. Ma respiration est agitée. Au bout de quelques secondes, je redresse la tête. Il n’y a personne ici, sauf moi, le NEURON et ma nudité. Un peu de lumière filtre au travers de la grille. Je peux voir les motifs de petits carrés qu’elle dessine autour de moi.
Je suis dans un cube parfait, comme celui que je tiens dans la main. Les parois sont capitonnées et griffées par tous les prisonniers qui m’ont précédé ici, après être tombés par le même trou dans le plafond.
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« Il n’y a pas de copie », c’est tout ce que peut me dire Enzo quand il me glisse le paquet de chiffons sales dans lequel il a enveloppé le NEURON. Il n’a même pas osé le toucher, ses mains tremblent, il sue et peut à peine parler.
Je jette immédiatement les chiffons pendant qu’Enzo disparaît au milieu de la foule qui s’agglutine sur le quai du métro en cette heure de pointe. Ensuite, je fais d’innombrables détours, j’emprunte plusieurs ascenseurs à la suite, je change de niveau, je me débarrasse d’une partie de mes vêtements et je mets un bonnet. Je parcours plusieurs blocs, privilégiant les endroits où les caméras ont été vandalisées et sont hors service, jusqu’à arriver au débarcadère et me mêler à la multitude qui descend des ferries.
Puis je remonte l’allée Cienfuegos en tenant le NEURON dans mon poing d’une façon naturelle, sans qu’on puisse deviner sa présence. C’est un cube d’aspect métallique, opaque. Il doit mesurer quatre centimètres de côté. Il pèse trois cents grammes. Ses arêtes sont légèrement arrondies, comme si elles étaient usées à force de passer de main en main. Il ne présente aucune marque, ni rayure, ni inscription. Ses six côtés sont parfaitement lisses, sans rainure ni orifice. Il est de couleur indéfinissable, comme de la terre morte. Il est froid et ne se réchauffe pas au contact de la peau. Il se maintient en permanence à 18,8 degrés Celsius, quel que soit l’environnement dans lequel il se trouve. Il ne vibre pas et ne peut pas être détecté par les portails magnétiques à l’entrée des souterrains.
L’avenir de la Société du peuple libre repose dans la paume de ma main.
Je me fonds dans la foule et marche tranquillement, comme si je ne sentais pas sur mes épaules la responsabilité d’avoir en ma possession la dernière copie du NEURON. C’est une habitude que l’on acquiert dans la clandestinité : mentir en permanence. C’est un instinct, un camouflage naturel, être comme tout le monde, ne pas de faire remarquer, ne pas avoir peur, ne pas regarder les gens dans les yeux. S’arrêter de temps en temps devant une vitrine, reprendre son chemin comme une personne distraite, perdue dans ses pensées et ses préoccupations, inquiète de ne pas réussir à joindre les deux bouts.
Je suis clean, indétectable. Le NEURON est en sécurité pour le moment. Il ne reste qu’un dernier rendez-vous. Plus qu’un échange et le réseau pourra être restauré. Une fois le NEURON en ligne, les relais se multiplieront pour dupliquer les informations, nous aurons résisté une fois de plus aux attaques et la Société du peuple libre sera de nouveau sauvée.
L’allée Cienfuegos est éclairée de mille feux, les fêtes vont bientôt commencer, je ne sais pas qui peut avoir envie de fêter quoi que ce soit, mais c’est la dynamique commerciale qui veut ça, on passe d’une chose à l’autre, de la Saint-Valentin à la fête des Mères, du jour des animaux domestiques au jour de l’enfance, de la célébration de l’Armistice à Halloween, etc. Ça ne s’arrête pas, on cherche toujours un moyen de forcer les gens à acheter ce dont ils n’ont pas besoin, parce que s’ils n’achetaient que le strict nécessaire, la moitié des magasins ferait faillite.
« Victor… » dit la voix de Mila dans mon oreillette.
Je m’arrête. C’est curieux que ce soit elle, le dernier contact. Nous avons fait nos armes ensemble dans le NEURONisme et, après beaucoup de sacrifices, nous avons grimpé dans la hiérarchie. Nous avons finalement intégré le premier cercle du mouvement sans rien devoir à personne, et aujourd’hui, nous sommes les deux derniers maillons dont dépend toute la chaîne.
« Victor… »
Cela fait des années que je ne l’ai pas entendue prononcer mon nom, et, bien que je sois à moins de cent mètres de notre point de rencontre, je m’immobilise. Quelque chose dans la voix de Mila me prévient d’un danger.
« Rien. »
Rien est notre signal d’alerte, si quelque chose ne va pas. Je me tourne face à une vitrine. J’attends.
« Rien, rien, rien… » répète Mila.
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« Rien, rien, rien… » répète Mila.
Mais cette fois, j’entends aussi des halètements, comme si elle s’était mise à courir, puis un sifflement épouvantable qui me perce les tympans. J’arrache violemment mon oreillette. Je lève les yeux : deux caméras surveillent l’allée, elles ont dû détecter mon geste, ils m’ont envoyé ce bruit insoutenable pour me repérer. J’essaye de me persuader que Mila s’est déjà réfugiée quelque part, et que c’est donc certainement moi, le gibier principal. C’est sur moi que va se jeter la meute. Je serre instinctivement le cube métallique dans ma main. Je ne sais pas comment je vais pouvoir me sortir de là, le sang cogne contre mes tempes, je sens des crampes dans tous mes muscles. Je ne peux pas supporter l’idée qu’ils m’attrapent, j’ai vu tant de corps de camarades, les doigts triturés, les dents arrachées, la peau brûlée par l’électricité.
J’entends la sirène d’un des bateaux qui arrivent au port, à présent j’en suis à deux blocs de distance. Je joue ma dernière carte. Je me mets à courir. Je cours tant que je peux, le cube dans la main. Je cours tout en jetant du lest, je me débarrasse de tout ce qui est traçable, ma montre, le mini-récepteur, l’imperméable climatisé. C’est à peine si je vois les gosses des rues se précipiter sur les petits trésors que je sème derrière moi. J’entends dans mon dos les sirènes des voitures blindées qui se rapprochent, mais je me retourne pas, je continue jusqu’au débarcadère et je replonge dans la cohue des passagers empressés, qui descendent des ferries en se bousculant pour ne pas arriver en retard au boulot. Je me fraie un passage avec brusquerie, ils m’ouvrent une voie. Plusieurs agents de la police portuaire font leur apparition, essayant de m’arrêter en me frappant, mais j’esquive leurs coups, je pousse une vieille dame qui est restée paralysée sur mon chemin, les insultes pleuvent, la femme hurle. Un vigile sur un ferry utilise sa radio, je crois entendre deux coups de feu. Mais j’ai déjà sauté du quai, je reste un instant suspendu dans les airs, puis je plonge dans l’eau sale. Je coule, sans lâcher le cube, le peuple libre se noie avec moi, je ne peux pas le lâcher.
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Enfin, nous finirons bien par mourir comme tout le reste, nous sommes nés pour cela.
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C'est la première chose qu'on devrait apprendre aux enfants, avant le premier mot, avant le premier mot, avant tout. L'innocence et l'ingénuité sont mortelles.
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Vidéo de Boris Quercia
Les 15 et 16 juin 2019 auront lieu la 11ème édition du salon international du livre de poche Place des Marronniers à Saint-Maur-des-Fossés organisée par la librairie La Griffe Noire et la ville. Le libraire Jean-Edgar Casel vous présente quelques informations de l'édition 2019...
La Mort selon Turner de Tim Willocks et Benjamin Legrand aux éditions Sonatine https://www.lagriffenoire.com/128455-nouveautes-polar-la-mort-selon-turner.html
Le Chant de l'assassin de R.J. Ellory, Claude Demanuelli aux éditions Sonatine https://www.lagriffenoire.com/1004285-nouveautes-polar-le-chant-de-l-assassin.html
Seul le silence de R. J. Ellory aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/15087-poche-seul-le-silence---prix-choix-des-libraires-2010.html
Ne fais confiance à personne de Paul Cleave et Fabrice Pointeau aux éditions Sonatine https://www.lagriffenoire.com/90266-romans-ne-fais-confiance-a-personne.html
Le Jour de ma mort de Jacques Expert aux éditions Sonatine https://www.lagriffenoire.com/1001084-nouveautes-polar-le-jour-de-ma-mort.html
Ragdoll de Daniel Cole et Natalie Beunat aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/104626-polar-livres-de-poche-ragdoll.html
L'Appât de Daniel Cole et Natalie Beunat aux éditions Pocket https://www.lagriffenoire.com/1002758-polar-livres-de-poche-l-appat.html
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Je sais que tu sais de Gilly Macmillan et Séverine Quelet aux éditions Les Escales 9782365694636
Les Détectives du Yorkshire - Tome 4 : Rendez-vous avec le poison (04) de Julia Chapman, Dominique Haas aux éditions Robert Laffont https://www.lagriffenoire.com/1001249-nouveautes-polar-les-detectives-du-yorkshire---tome-4-rendez-vous-avec-le-poison---volume-04.html
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