Pascal Quignard est un auteur difficile d'accès parfois. Il m'est arrivé d'abandonner la lecture de certains de ses livres.
Villa Amalia, au contraire, se lit de façon très fluide. Les chapitres sont assez courts et découpés en paragraphes. L'écriture est à l'image de l'état d'esprit de l'héroïne, Ann, morcelée. La personnalité du personnage est complexe. Son identité semble multiple et variante comme son nom, Ann Hidden, Eliane Hidelstein, Ann-Eliane.
A 47 ans, Ann vit une rupture. Elle va faire l'expérience d'une sorte de mue. Avec une farouche détermination, elle change complètement de vie, vend sa maison parisienne et se débarrasse de tous ses effets personnels. Ann quitte son emploi chez un éditeur de musique.
Pascal Quignard a personnellement éprouvé ce changement brutal et volontaire de vie. Il s'inspire de son vécu. En 1994, il a abandonné sa carrière musicale et ses fonctions éditoriales pour se consacrer à l'écriture dans la solitude. Il s'est réfugié dans sa maison, à Sens, au bord de l'Yonne.
Irène Fenoglio, dans un entretien réalisé par écrit et à distance avec l'auteur, décrit ce lieu :
"«L'ermitage » de
Pascal Quignard ? Une maison, à Sens, au bord de l'Yonne.
Elle demeure insoupçonnable derrière une porte «mine de rien », dans une petite rue parallèle à la rivière. Un couloir à la chaux, une autre porte et une petite maison est là, chaleureuse, aérée, une sorte de cocon lumineux s 'ouvrant sur un jardin intérieur, carré, qui donne directement, et presque de plain-pied, sur l'Yonne. Sur ce bord du bord de l'Yonne, deux parterres d'impatients multicolores.
C'est le printemps, un jour de beauté chaude.
Dans le jardin, à droite, une maison de musique, minuscule, de la largeur du piano qui fait regard à la fenêtre. Elle est essentielle à l'écriture :
Pascal Quignard, musicien, joue parfois au piano certain thème correspondant à ce qu'il est en train d'écrire, avant de se mettre à écrire. Un fauteuil et, au mur, des eaux-fortes et quelques autres gravures. Dehors, le long de cette chambre de musique autonome, des roses rouges et roses.
A droite encore, tout au bord de la rivière, une autre petite maison : la «chambre d'été », qui elle-même s'ouvre sur une salle de travail et de lecture dont la fenêtre donne directement sur l'Yonne. «Chambre d'été», dit l'auteur, lorsque la chambre sur rue, la première à droite en entrant dans la maison principale, devient trop chaude. La fenêtre sur l'Yonne impose une sorte de tableau hollandais dont la perspective du paysage s'approfondit au fur et à mesure qu'on le contemple. Comme
Pascal Quignard l'a souvent écrit, il a toujours recherché la vision de l'eau, recherché le fleuve d'une ville."
Je me souviens aussi d'un documentaire, Les écrivains, le silence et les chats, où l'on voyait
Pascal Quignard dans son bureau tout blanc, dans cette même maison, devant une grande bibliothèque et un lit blancs, car l'auteur écrit au lit.
Ann va aménager un lieu tout blanc qui est directement inspiré de la maison des bords de l'Yonne chez son ami d'enfance Georges Roehlinger. Mais elle n'y reste pas. Elle part en errance en Europe. Sur l'île d'Ischia, elle découvre la
villa Amalia, et c'est un véritable coup de coeur.
On peut dire que ce roman de
Pascal Quignard est une histoire de lieux et de maisons qu'Ann quitte, aménage, découvre, comme si sa personnalité et son identité y étaient liées. C'est aussi l'histoire du retrait qu'elle choisit de la société, de la distance qu'elle impose à ses amis et à sa famille, pour assouvir son besoin de solitude.
La musique est très présente avec les trois pianos d'Ann. Tout un passage est consacré au ô solitude de Purcell qui s'est inspiré de la poétesse anglaise du XVII -ème, Katherine Philips. Un passage de la troisième partie montre Ann, au piano. Ce qu'elle joue est très libre, comme une improvisation jazz. L'eau est aussi un élément fondamental du roman, et omniprésente, que ce soit celle du fleuve ou de la mer.
Le roman semble composé comme une sonate en quatre mouvements, lent ‒ rapide ‒ lent ‒ rapide. La première partie se déroule dans la grisaille, la pluie et le brouillard. La deuxième partie, en Italie, est en revanche lumineuse et colorée. La troisième partie, beaucoup plus sombre et tourmentée, est marquée par la mort de plusieurs des personnages. La quatrième peut être qualifiée de rapide parce que brève.
La très belle écriture de
Pascal Quignard porte le récit avec précision et poésie. Il explique qu'il corrige lui-même ses textes maintes et maintes fois avant la mouture finale. C'est un long travail qui s'étale dans le temps. Même si le récit est assez captivant en soi,
le lecteur devra être attentif au texte, si riche en références et dont les lignes s'imprègnent de poésie.