Madame, en l'embrassant, songez à le sauver.
Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés ?
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
Que vous accepterez un coeur qui vous adore ?
La tristesse tragique doit être majestueuse.
Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu'il hait et punir ce qu'il aime.
Mais ce n'est plus, Madame, une offre à dédaigner : Je vous le dis, il faut ou périr ou régner. Mon cœur, désespéré d'un an d'ingratitude, Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude. C'est craindre, menacer et gémir trop longtemps. Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j'attends.
Puisqu'après tant d'efforts ma résistance est vaine,
Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne.
Eh bien , Madame, eh bien ! il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence ;
Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Plus d'une fois
Une terre caillouteuse a mieux rendu à l'ensemencement qu'une terre profonde,
Et beaucoup de bâtards valent mieux que les fils légitimes.
Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
Qui l'est avec douleur, et qui pourtant veut l'être. Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux,
Il me soulagera peut-être autant que vous. Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures.
Je crains votre silence, et non pas vos injures
Vous m'en aimeriez plus.
Ah ! Que vous me verriez d'un regard bien contraire !
Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire ;
Et l'amour seul alors se faisant obéir,
Vous m'aimerez, madame, en voulant me haïr.
Page 59-60 (Larousse - mai 1965)