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sur 551 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai beaucoup entendu parler de Radiguet avant de l'avoir lu et ce que j'entendais m'intriguait beaucoup. Cet homme aurait réussi, avant de décéder alors qu'il avait à peine vingt ans, à écrire quelques livres d'une exceptionnelle maturité psychologique, en usant d'un style lapidaire et précis. Je me demandais si les qualités d'écrivain de Radiguet n'étaient pas un peu surfaites en fonction de son destin tragique et fulgurant.
Ma curiosité s'est donc lentement aiguisée sur l'anomalie temporelle que Radiguet constitue dans le monde restreint des grands écrivains jusqu'à ce qu'un petit espace se dégage au travers de mes nombreuses lectures. Elle s'est alors abattue avec avidité sur cette petite plaquette contenant la moitié de son oeuvre romanesque et a rencontré si peu de résistance que tout l'espace temps dont j'aurais disposé y a été irrésistiblement absorbé pour quelques heures. C'est indéniable, cette histoire de coeur a su faire résonner les rouages de ma constitution pneumatique à un train infernal et cela pour de multiples raisons.
Premièrement, le petit monde de la mondanité, où se déroule la trame narrative, nous est bien vite rendu familier en même temps que les personnages clés du roman.
Ensuite, le cercle relationnel qui unit les personnages principaux est vraiment très bien montré. Cette histoire de coeur se déploie en effet d'abord dans une sorte de huit clos sartrien, où chacun aime celui qui ne l'aime pas. Mahaut, qui est une sorte de Virginie, aime en effet passionnément son mari, le compte, aristocrate peut-être inspiré du Baron de Charlus, qui ne l'aime pas d'un même amour, ce dernier aimant plutôt François, sans trop savoir pourquoi au départ, tandis que François, personnage classique de semi-parvenu, aime Mahaut. le maléfice du huis clos sartrien est toutefois étouffé dans l'oeuf puisque le triangle des amours fonctionne simultanément par personnages interposés : Mahaut apprécie François puisqu'elle aime le compte et que le compte apprécie François; le compte aime François puisque ce dernier aime Mahaut et lui fait donc apprécier la valeur de sa femme et enfin, François aime le compte puisqu'il est aimé de Mahaut et que son amour veut le bonheur de son aimée.
D'autre part, l'aspect psychologique du roman est très bien monté. Procédant comme si il voulait démontrer, en dehors de l'horizon religieux, le principe pascalien selon lequel le coeur a ses raisons que la raison ne saurait voir, Radiguet pose la réalité ontologique de l'amour dans les ombres de l'inconscience. Ces personnages ignorent qu'ils aiment et agissent d'une manière qui constitue d'abord un mystère pour leurs consciences propres.
« L'histoire de coeur », pourtant fort complexe, est ainsi très clairement présentée au lecteur comme destin s'imposant à partir des profondeurs de leurs inconscients respectifs, de leurs « mondanités » au sens de l' « être-dans-le-monde » heideggérien. Dans ce roman, la vérité des êtres est toute sous-terraine, les consciences servent de réceptacle à l'actualisation des êtres déjà prédéterminés, les actions des personnages suivent plutôt les ordres de déterminismes inconscients et sont d'ailleurs perçues rétrospectivement comme mystérieuses par les personnages eux-mêmes : « Vivre un conte de fées n'étonne pas. Son souvenir seul nous en fait découvrir le merveilleux. » (25)
La situation du roman aboutie en effet lorsque l'amour arrive au niveau de la conscience des personnages. C'est donc à force de gestes inexplicables et obscures que la lumière finit par se faire, que l'amour se révèle comme une évidence aux différents personnages, le cas le plus intéressant, à mon avis, étant celui de l'amour que Mahaut finit par avoir pour François.
C'est, en effet, lorsque Mahaut réaliste l'insouciance du compte à son endroit qu'elle se tourne vers François en s'en déclarant intérieurement amoureuse. C'est l'énonciation interne d'un amour qui n'a rien de vrai, en dehors d'une protection psychologique face à l'affront que constitue le dédain du compte pour son amour, qui tient lieu de cet amour, qui actualise cette possibilité abstraitement, sans que François en soit la cause directe et concrète. François sera aimé par Mahaut comme une pure idée protectrice, un cataplasme devenu essentiel pour arrêter une hémorragie de coeur qui aurait pu être mortelle. C'est un véritable « amour » de survie. le phénomène est peut-être plus répandu qu'on pourrait le croire dans les histoires de coeurs de l'humanité féminine quand on y pense, mais l'exposer aussi brillamment constitue, à mon avis, un exploit tout à fait admirable.
Bref, dans ce monde mondain, où les affaires de coeur sont beaucoup trop profondes pour prendre une place importante, où l'on vogue dans les profondeurs brumeuse de l'inconscient et où Mahaut vit en étrangère sans le savoir, cet « amour », pour François, ne tardera pas à devenir officiel. le compte d'Orgel n'y trouvera évidemment aucune raison de s'émouvoir, de même qu'il n'a aucun scrupule moral dans ses propres infidélités, qu'il accomplie d'ailleurs exclusivement en fonction d'impératifs mondains.
Il faut être dénué complètement de passion pour pouvoir dominer parfaitement son objet et ce détachement absolu ne devient possible que si on l'a d'abord expérimenté. Or, les rouages de l'amour sont si élégamment et finement présentés au lecteur, dans un amalgame tellement maîtrisé de profondeur et d'ironie qu'il faut se rendre à l'évidence : tout cela tient assurément du prodige, d'un très jeune prodige d'à peine vingt ans.
Au moins sur le plan de l'amour, Baudelaire semble donc bien avoir eu raison de dire que l'homme est un enfant égaré. Toutes les possibilités sont bien présentes dans cette oeuvre génialement juvénile. Aucun égarement d'actualisation ne vient gâcher la pureté du portrait.
On trouve ainsi, en apparence, autant de maturité qu'on pourrait en trouver dans le serein dégrisement envers le vivant qu'apporte avec elle le lent déploiement de la sénescence. Et pourtant, il ne faut pas s'y tromper, si Radiguet est génial, il demeure un très jeune écrivain qui s'amuse à un exercice dont la cruelle perfection fait voir un jeune homme brillant qui a encore l'illusion de tout comprendre.
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Le bal du comte d'Orgel est un petit bijou de subtilité et de justesse.
Les non-dits ont tellement de force dans la communication que leurs silences hurlent dans votre crâne pendant des minutes qui s'éternisent. Suspendu à des lèvres, le silence résonne comme un écho destructeur qui s'amplifie jusqu'à l'implosion du sujet. Ce roman est si pertinent dans la description de l'âme humaine qu'on peut aisément s'identifier et revivre des moments difficiles, des moments où l'on passe à côté de l'autre et de son message. Voire on tombe dans un pur paradoxe, quoi que l'on fasse cela sera sujet à caution. Dans les détours d'une hésitation, d'une respiration qui suspend la venue d'une réponse, l'interprétation valable à un instant peut être chamboulée, faussée ou confirmée et imprime une marque indélébile pour qui vit dans cet attendrissement des sens. Et c'est ce que ressent Mahaut, madame d'Orgel, d'autant plus fort quand elle découvre son amour pour cet homme, entré dans son cercle relationnel par l'entremise de son mari, flatté de jouer avec les sentiments des autres, lui qui ne savait qu'exprimer ce qui ne le touchait pas. Que l'on «est malhabile en face d'un incrédule.» Un triangle amoureux pénétrant.
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"Si j'aime Mahaut tout court, je désire tromper Anne".
Paradoxe éternel, le choix n'est que souffrance. François de Séryeuse, aristocrate naïf et oisif, attiré par la belle comtesse Mahaut d'Orgel, "méprisante et distraite", "follement éprise de son mari" Anne; après avoir nié l'évidence, se retrouve ligoté par ses liens d'amitié avec le dit mari. Que faire lorsqu'il apprend de la bouche répressive de sa mère que son amour est partagé?
Le bal du comte d'Orgel, à l'opposé de Les liaisons dangereuses de Chanderlos de Laclos n'est en rien pervers. Même si le mari pousse Mahaut dans les bras de son rival, c'est plutôt par narcissisme exacerbé et confiance poussée à l'extrême (qui confinent à l'incrédulité).
On est loin de le diable au corps (indépendant de toute morale) de Raymond Radiguet lui-même car l'amour reste "chaste".
Ce roman d'amour romantique évoque plutôt (bien que l'époque soit différente, nous sommes ici dans l'après-guerre de 14-18) La princesse de Clèves de Madame de la Fayette qui préfère se sacrifier plutôt que de sauter le pas; puisque Mahaut est une femme de devoir....à moins que les affres de la passion ne soient pour elle incompatibles avec son quotidien calme d'une vie toute tracée par un mari dominateur?.
Raymond Radiguet, jeune écrivain prodige mort à 20 ans, ne laissera que 3 oeuvres. Mais quelles oeuvres!
On ne peut que saluer sa fine analyse psychologique des personnages. Il décortique chaque attitude,chaque geste,tic de langage,parole; il peaufine chaque réplique; il étudie chaque lien (ex: celui de François distant avec une mère réservée), il peint les caractères avec moult détails pour les rendre authentiques, il relate les interprétations de chacun pour faire basculer l'innocence dans la détresse du piège qui se referme...il soulève le voile des apparences pour faire pénétrer le lecteur dans les inconscients.
J'ai beaucoup aimé le trio annexe que forme Paul, l'ami diplomate de François pris en étau entre une maîtresse maîtresse américaine vengeresse qu'il repousse et une autre qu'il aime. On frise là le vaudeville à la Wooddy Allen!
Le bal du comte d'Orgel est un bal costumé ou ne sera pas car chez ces gens là...le costume est de mise, celui du jeu de rôle!
Cruelles destinées!
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François de Séryeuse entre dans le monde et surtout chez le comte et la comtesse d'Orgel, grâce à son ami diplomate Paul Robin. le comte s'appelle d'un prénom généralement donné aux femmes, Anne, tandis que sa femme, Mahaut, porte un prénom mixte. La lecture peut en être perturbée surtout lorsque l'on sait que Radiguet était bisexuel.
C'est presque naturellement que François se rapproche du comte et de la comtesse, à la fin d'un spectacle de cirque, passant devant son ami Paul. Dès lors, François est invité aux dîners chez les Orgel, sorte de Swann qui va chez les Verdurin. François est amoureux de Mahaut, femme issue de l'aristocratie Martiniquaise et ne peut bientôt plus se passer d'elle. le mari de celle-ci semble indifférent à la cour de François, on pourrait presque croire parfois qu'il l'encourage. de son côté, Mahaut, finit par tomber amoureuse de François et envoyer l'aveu de ses sentiments à la mère de celui-ci. Son devoir envers son mari reste intact et ce sont ces luttes des uns et des autres dont il est question ici jusqu'au bal masqué final durant lequel le comte commet un impair envers un prince russe, Mahaut, symboliquement soutient son mari en poussant la plaisanterie bouffonne du comte à propos du chapeau tyrolien du prince russe.
L'originalité de ce court roman, publié de manière posthume et que Radiguet corrigeait encore lorsqu'il mourut à vingt ans il y a exactement un siècle de cela, est que l'amour est présent autant que son non-accomplissement. Il n'est visible que sur les visages ou les actes extérieurs. L'amour de François est plus fantasmé qu'autre chose. Quant à Mahaut, elle découvre les possibilités de l'adultère sans en jouir vraiment.
Roman d'un écrivain-comète, déjà très doué, au style impeccable. On se demande souvent l'oeuvre qui aurait sortir si l'auteur avait vécu plus longtemps car il avait déjà atteint une certaine maturité dans ses réflexions :

« Un homme qui a souffert n'a pas forcément vieilli. La transformation est plus profonde. »

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Le livre le plus abouti de Radiguet comme l'a si bien souligné Jean Cocteau. Là où le diable au corps cède à la facilité avec la mort de Marthe qui soulage beaucoup le héros, le Bal du comte d'Orgel tient toutes ses promesses. le "Et maintenant, Mahaut, dormez ! Je le veux." (et je cite de mémoire un livre lu il y a plus de 20 ans) résonne encore en moi comme la prise de conscience, terrible, et l'acceptation de leurs sentiments par tous les personnages... Un triangle amoureux dans une société surannée magistralement traité par un tout jeune homme. Une grande claque.
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Raymond Radiguet (1903-1923) était certainement un prodige, puisqu'il a écrit deux chefs d'oeuvre avant sa mort très prématurée. Pour ma part, je n'avais rien lu de lui jusqu'ici. "Le bal du comte d'Orgel" est un roman d'amour, mais très différent des autres. Si les protagonistes principaux - le mari, l'épouse et l'amoureux (sinon l'amant) - peuvent être considérés comme galvaudés, le thème est ici traité d'une manière originale et très fine.
En deux mots, voici la trame de l'histoire. le jeune François de Séryeuse fait la connaissance d'un noble très mondain et flamboyant, voire frimeur, le comte Anne d'Orgel; celui-ci se lie d'une réelle amitié avec lui. Mais le jeune homme, tout en étant attaché au comte, tombe également amoureux de sa femme Mahaut; il conscientise son sentiment, mais ne poursuit pas activement de ses assiduités la comtesse d'Orgel, qu'il rencontre pourtant presque chaque jour. De son côté, Mahaut, sincèrement amoureuse de son mari, met très longtemps pour nommer le sentiment qu'elle éprouve pour François... Je n'en dirai pas plus. La fin du roman laisse ouvert le dénouement de cet imbroglio sentimental.
Voici un livre étonnant, très éloigné des canons de la littérature du siècle dernier. Il me fait penser aux romans français du XVIIème siècle. le milieu où se déroule l'action est huppé, les deux héros amoureux restent chastes, ils conservent beaucoup de retenue. L'auteur parsème le récit de signes significatifs et subtils (une rencontre muette avec une famille anonyme dans un train, un bras passé par inadvertance sous le bras de la personne aimée, une maladresse dans l'usage d'un chapeau tyrolien, etc…). Quoique les péripéties soient très peu spectaculaires, on ne s'ennuie absolument pas pendant la lecture. le récit délicat et très travaillé, est surprenant de la part d'un si jeune homme. de plus, le style est châtié, sans être pesant. Pour moi, c'est une découverte tardive, mais précieuse.
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Je l'avais peut-être lu au siècle passé mais n'en avais plus aucun souvenir.
J'ai trouvé beaucoup de plaisir à lire ce livre, délicieux avec tant de subtilité et de légèreté. Mais aussi avec une interrogation : Quelle était la raison de tant d'aise de ma part, alors que l'époque et le milieu me sont totalement étrangers ?
L'intrique, sans doute, mêlant à l'amour et l'amitié, des sentiments n'ayant plus tellement cours aujourd'hui : la noblesse et l'honneur.
Peut-être aussi la fraicheur d'un jeune homme obligé de reconnaitre en lui des sentiments qu'il voudrait s'interdire.
Heureusement, la lecture est souvent un plaisir. Ce fut le cas avec ce bal.
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Le Bal du Comte d'Orgel est un livre qu'on apprécie encore plus quand on a lu «La Princesse de Clève» de Madame de la Fayette. En effet Radiguet a fait dans ce roman de multiples allusion au roman de Madame de la Fayette. Lire Radiguet ainsi en cherchant ces allusions est un petit jeu assez amusant. Je vous le conseille, ça donne plus de force encore à ce petit roman qui est une réussite en son genre.
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Petit bijou de Raymond Radiguet, j'en repoussais la lecture pour des raisons que je ne m'explique pas. On y appréciera l'analyse clinique des sentiments dans un jeu d'échecs amoureux entre François de Seryeuse, Mahaut d'Orgel et son époux, Anne d'Orgel. le style est assez terrible par sa froideur, qui lui permet une grande précision. On peine à croire que l'auteur de ces lignes n'ait eu que vingt ans. Dans mon esprit, je compare cet ouvrage avec d'autres de la même époque, traitant d'un sujet similaire, comme le Feu follet et Gilles de Drieu la Rochelle, Adrien d'Aragon (je mettrais dans le même "sac" le film la Règle du jeu de Jean Renoir) et je trouve le Bal du comte d'Orgel supérieur, car il nous permet de nous extraire des mondanités qui ne sont que le canevas d'un drame humain qui les dépasse.

Par ailleurs, et j'avais oublié de le mentionner, le parallèle doit être dressé entre cet ouvrage et la Princesse de Clèves de Madame de la Fayette. Tout d'abord, le scénario initial est à peu près le même, transposé à l'époque de l'auteur. de mémoire, Radiguet y fait lui-même référence directement, mentionnant le nom de Nemours, mais aussi au travers de Madame de Séryeuse, qui est décrite comme une beauté du XVIème siècle, c'est-à-dire l'époque où se déroule la Princesse de Clèves. Il y a certainement d'autres références, qui peuvent être détectées en lisant les deux ouvrages de façon rapprochée.
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Raymond Radiguet est un auteur quelque peu particulier dans l'ensemble que forme la littérature française du XXe siècle, car il est à la fois connu, mais aussi méconnu du public. Artiste révélé par Jean Cocteau en personne – dont Radiguet fut, en même temps que le poulain, l'amant –, il est décédé à 20 ans seulement, et a eu à son actif deux romans qui se sont révélés être des succès aux antipodes de la maîtrise romanesque. D'abord, son premier et largement plus célèbre, le Diable Au Corps, qui l'a propulsé sur le devant de toutes les scènes intellectuelles. A peine un an plus tard, il décède, et paraîtra donc de façon posthume ce second roman : le Bal du Comte D'Orgel. Ma lecture, ma découverte de l'auteur. Quel roman… Mais quelle découverte ! Je suis absolument bouleversé de vous en parler aujourd'hui car je pense honnêtement qu'il s'agit d'une de mes meilleures découvertes littéraires de tous les temps, il s'est directement hissé à la hauteur de mes classiques préférés. le livre est d'une beauté absolument renversante. La particularité est que son auteur a voulu que ce livre soit une sorte de copie modernisée de la Princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Ce classique m'avait beaucoup plu, et cela m'avait intrigué, toute cette histoire de l'avoir disposé comme livre de chevet pour s'en inspirer ; et l'histoire autant que la beauté sont là, c'est indéniable, mais ils savent tout de même présenter leur propre identité, du moins assez pour se différencier ! Il s'agit d'une réécriture officiellement, mais il serait presque vulgaire de réduire ce texte à cela. Sinon, il est dit partout qu'il s'agit là d'un livre bien moins connu que son prédécesseur, et c'est bien vrai qu'on en entend bien moins parler, ce qui est franchement dommage ! puisque rien n'est plus pur que ce texte : la beauté des mots est mise à disposition de la beauté des liens décrits au sein de l'histoire. Alors certes, il s'agit d'un trope vraiment récurrent et banal au possible : un triangle amoureux avec un mari, sa femme et un ami de la famille. Cet ami aime la femme, qui aime son mari, mais celui-là ne rendant pas aussi franchement les sentiments à sa femme, celle-ci sera étonnée et désemparée devant les sentiments exprimés par cet ami. Si l'on pouvait donner un second titre à ce texte pour le résumer, ce serait probablement « l'esthétique de la dissimilation », parce que tout en ce livre n'est que mises sur le bas-côté, cacheries, tromper les apparences, ne rien laisser paraître, pour ne pas dire mensonges – qui n'en sont pas vraiment, car n'est pas mensonge ce qui est caché de la connaissance. C'est absolument éclaircissant, de voir tous ces efforts faits par François qui cache les sentiments qu'il a pour Mahaut envers sa propre mère, puis envers Mahaut elle-même, Mahaut qui cache les avances de François envers son mari, Mahaut qui cache son lien avec la mère de François à François lui-même, François qui cache son lien avec les d'Orgel à son ami Paul Robin, Mahaut qui cache sa réception à François, Mahaut qui cache ses desseins et ses maux d'âme à son mari lors des réceptions… Tout le monde cache tout à tout le monde, sauf un personnage : Anne d'Orgel, le comte et mari de Mahaut, et ce manque dans l'esthétique récurrent du roman est purement révélateur de son caractère finalement très simple malgré l'inverse, ainsi ce qu'il pense être. le titre du livre est assez particulier car nous imaginons un bal, mais celui-ci n'intervient fondamentalement que dans les dix dernières pages du roman, car le véritable bal du comte d'Orgel est bien évidemment tous ces déplacements implicites, cachés du monde, qui s'effectuent autour de lui sans qu'il ne puisse s'en rendre compte, le bal est là totalement psychologique, mondain et caractériel d'un jeu invisible dont le principal rouage reste imperméable malgré sa centralité. Tout en ce livre n'est que pureté, et élégance : le lien amical entre François et Anne qui parfois se rapprocherait presque de la liaison, la bonté de l'âme de Mahaut en apprenant les sentiment de François et en ressentant elle-même des sentiments pour lui (aussi, nous noterons l'attrait pour l'auteur d'un jeu onomastique entre les genres et les liaisons, car François tombe amoureux de Mahaut (deux noms masculins – comme descendant d'une homosexualité dans le couple hétérosexuel) mais est ami très proche avec Anne (noms appartenant aux deux genres, mais qui sont en fait deux hommes)). Tout est très juste dans les sentiments évoqués, et nous retrouvons parfaitement cet héritage du roman d'analyse psychologique laissé par Madame de Lafayette. Je ne saurais pas dire exactement pourquoi ce roman m'a fait tant d'effet alors que j'ai déjà lu son inspiration, que c'est une histoire récurrente, et qu'il ne s'y passe jamais rien de fantasmagorique, mais je crois que justement, ce qui m'a attrapé est la simplicité apparente du roman qui cachait une merveilleuse histoire d'amour où, pour une fois, comme dans le roman de Lafayette, la vertu gagne, et que ses décisions sont parfois plus étonnantes que celles prises par le vice.

Ce roman de Radiguet est une perfection à tous les points de vue : court mais développé, il est l'acmé de la pureté et de l'élégance de la mondanité française de l'après-guerre, celle qui cherche à faire la fête à tout bout de champ. L'auteur décédé avant sa publication, on sent les effluves de Cocteau à son travers. C'est une beauté où la vertu s'en sort sauve, pour une fois. Magnifique. {20}
Lien : https://clemslibrary.wordpre..
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