Comme toujours, et plus que jamais, ce qui agit sur le lecteur dans ce nouveau texte de
Thomas B. Reverdy, c'est la puissance du charme, un charme d'autant plus fort, cette fois, que le texte ressuscite, parmi les elfes et quelques héros de la mythologie nordique, un changelin aux pouvoirs hypnotiques, capable d'accompagner Noah dans la terrible réalité d'une catastrophe écologique comme dans les territoires fictifs d'un jeu de rôle où, adolescent et maître de la partie, il incarnait Sigurd, le héros d'une tragique épopée. Comme dans ses précédents romans, en effet, l'écrivain instaure un jeu d'échos entre une histoire évoquant, dans toute leur gravité, des faits-divers contemporains et le monde de l'imaginaire, tissé par les illusions collectives ou le regard des écrivains. Dans Les Évaporés, la mémoire des textes de
Richard Brautigan sur le Japon, témoignant de sa sensibilité et de son amour fou pour ce pays, accompagnait ainsi d'un contrepoint lumineux la découverte par le détective d'une société ravagée par le tsunami et l'explosion de Fukushima. Dans
L'Hiver du mécontentement, c'était le
Shakespeare de
Richard III qui donnait tout son sens au quotidien d'une jeune travailleuse précaire, actrice amateure de la pièce à ses heures perdues, dans une Angleterre sous la férule d'une
Margaret Thatcher au parcours si proche de celui du cruel roi de théâtre. Ici, l'intertexte de la mythologie nordique et des productions ludiques – jeux de rôle ou « livres dont vous êtes le héros » - qu'elle a nourries confère à l'histoire, grâce au brio avec lequel
Thomas B. Reverdy alterne l'intrigue réaliste et le récit fantastique, une atmosphère crépusculaire, digne de la fin du monde qui s'ébauche sous les yeux du lecteur. Au début du roman, un incident dramatique se produit, tout au nord des côtes de la Norvège, sur la plateforme d'exploitation pétrolière nommée Sigurd – tiens donc ! -, faisant craindre son explosion et de gigantesques périls écologiques. Noah, un enfant du pays devenu ingénieur géologue, est appelé pour découvrir les causes de l'événement et tenter d'en prévenir les funestes conséquences. Il retrouve sur cette terre aux confins du monde ses amis d'adolescence, Ana, Magnus, Anders et Knut, tous embarqués dans des vies difficiles de grands solitaires, tous marqués par leurs aventures de jeu d'autrefois comme par les dangers qu'ils doivent affronter dans le présent. Tandis que loups et chiens de guerre, héros fantastiques passant aisément du monde des légendes à celui de la réalité, sont décrits dans toute leur fière splendeur, tandis que le lecteur lui-même est invité régulièrement à participer au cours de l'histoire, en faisant rouler les dés étranges d'un jeu wagnérien,
Thomas B. Reverdy lui propose parallèlement un vrai tableau du désastre à l'oeuvre dans cette partie septentrionale du monde, évoquant les sinistres craquements et la fonte accélérée de la banquise, mais aussi la mort annoncée ou la nouvelle vie des animaux qui peuplent là terres et mers, ours polaires, morues, ou minuscules crevettes Calanus Hyperboreus, montrant magistralement comment le destin de chacune de ces créatures peut perturber le fragile équilibre d'un territoire, aujourd'hui en extrême péril. « Je n'ai pas établi, commente l'auteur, de hiérarchie entre les études scientifiques et les enquêtes historiques d'une part, les récits d'aventures et la fiction d'autre part, parce que je crois que ce que nous appelons l'imaginaire – l'imaginaire des légendes et des mythologies, mais aussi des jeux et des romans dont nous faisons nos vies – fait partie de la réalité des choses. La fiction façonne notre monde. Sans elle, tout cela serait irrémédiable… » . Et oui, disons-le, la recette est vraiment réussie, la magie Reverdy fonctionne ici pleinement, qui nous invite à rêver autant qu'à nous interroger sur l'avenir de notre planète… Alors, vous vous laissez prendre au jeu ?