Il y a chez les grands créateurs, une connivence énigmatique entre leur création et la mort.
Leur propre mort. Dans ce trajet de vie que bouclent les poètes –peintres, écrivains, musiciens, et les autres, tous ceux qui, pour ne pas hurler, inscrivent leur chagrin sur du vide, un son, une couleur, un mot, qui ont le pouvoir, parfois, de donner un sens à notre vie, et peut-être, au-delà de ce qu’elle est, sa dimension véritable, à savoir, tel qu’on eut rêvé qu’elle fut, telle qu’elle est, donc, dès lors qu’on l’imagine–, l’œuvre à venir est confrontée sans cesse à la ligne du temps, à ce point précis du temps d’où il se pourrait qu’elle surgisse. Je parle de l’œuvre dans ce qu’elle a d’unique, de miraculeux, jaillie de son créateur pour lui survivre, et se survivre, intacte et neuve au long des siècles qui s’avancent.
Je désire, je meurs. Je ne désire plus, je suis mort. Voilà, j’arrête.
Depuis quelques jours, je trébuche sur ces dernières lignes, sans qu’un mot ne vienne m’en apporter le relais. J’ai essayé. C’est impossible.
Quelque chose en moi se cabre. Qui tient, bien sûr, à la nature du sujet traité. Mais aussi à l’écriture elle-même, exercice de l’écriture dans le déploiement des deux pivots que la structurent, ce que je veux dire, comment le dire – seuls les poètes, qui au sens préfèrent la musique, peuvent s’en affranchir. Le propre de la poésie étant de ne pas toucher terre, pourquoi aurait-il besoin de pivots ?
J’ai passé ma vie à me gommer.
Comme on efface, d’un coup de gomme, le trait dans le contour, formait une image. La mienne. Avec, peut-être, le désir secret de ne laisser qu’une trace, celle d’une absence, une absence de trace, une espèce de creux. Pas étonnant, je ne voulais invisible. Pour des raisons d’enfance : étais-je vu, j’étais foutu. À l’époque, un enfant n’avait que des devoirs – par opposition à pouvoirs. Être vu, équivalait à obéir à un ordre, écoper d’une corvée, subir une contrainte. Peut-être aussi pressentais-je,  sous l’excès de l’affection, la démesure de la demande.
Un mot change tout, les mots, à chaque instant, créent et défont le monde. À tous les niveaux du langage, le destin n’arrête pas de se dire. Autrement dit, d’être prédit.  Partant,  de s’accomplir, mettant ainsi au jour, ce qui, du désir, ne se dévoile qu’à travers la courbe de la destinée. Car la parole est porteuse d’effets. Vivifiante ou mortifère, c’est elle, et elle seule, qui fait advenir les choses dont on dira plus tard qu’elles étaient écrites. Écrites, certes. Mais par nous, de les avoir dites, ou imaginées.
Mais qui comprend le désir ?
Et qui comprend le temps ?
Pierre Rey :
LioubaOlivier BARROT présente le livre de
Pierre REY "
Liouba", édité chez FIXOT, et dresse un bref
portrait de la carrière de cet écrivain.