La fracture occidentale

L'importance de celles qui se sont tenues dans l'espace européen parmi les manifestations de 2003 contre l'intervention militaire étasunienne en Irak sont l'occasion de décliner les résultats statistiques de l'opinion publique dans les pays concernés dans le but d'argumenter sur les raisons de cette polarisation politique.

En l'occurrence, les statistiques nombreuses qui sont ici rapportées confirment un clivage entre l'Europe, à l'époque, des 15 et les Etats-Unis, mais aussi, même s'il est moins flagrant, entre l'Europe continentale et les Etats-Unis. Sans surprise, cependant, le rôle de la puissance militaire, du thème public de la religion sont plus présents aux Etats-Unis qu'en Europe où les droits des homosexuels, la promotion de l'égalité des sexes, le rôle favorable de l'Etat sur la pauvreté rassemblent davantage - l'aveu de divergences culturelles étant exprimé des deux côtés de l'Atlantique.

Ainsi, l'intervention étasunienne ne rassure les opinions publiques sur la pacification du monde et la lutte contre le terrorisme que dans le pays d'où a été initiée l'invasion ; tandis que celles d'en face s'inquiètent au contraire de la dégradation de l'ordre mondial consécutivement à la mise en branle de l'invincible armada.

Les statistiques isolent donc, dans le monde occidental, sinon, dans une moindre mesure, dans le monde tout court, les Etats-Unis, y compris, et très nettement, du Canada, et même, du Royaume-Uni, qui révèle une opinion publique beaucoup plus proche de celle de l'Europe des "15". Ailleurs, on note que l'opinion publique étasunienne se différencie peu des Etats socialement peu avancés. La notion de "fracture" du titre pourrait certes inciter à la lecture de la synthèse, mais elle rassemblerait plutôt des données confirmant l'isolement des Etats-Unis qu'elles ne mettrait en évidence une brisure soudaine.

Plus surprenant, et, sans doute, intéressant, est mis en évidence que les opinions européennes ne suivent pas un schéma fidéiste et idéaliste qui se limiterait à prôner la suprématie principielle du pacifisme : il ressort que c'est la valeur de la recherche du consensus, la régulation par le droit et la négociation qui animent les esprits européens à refuser la violence de l'action militaire ; en somme parce que la raison est une voie supérieure d'organisation de la vie en commun que l'action de la force. C'est en cela, par la faveur principielle de l'échange et de la négociation, que seraient mis le mieux en évidence la spécificité des effets de l'histoire récente de rapprochement des nations européenne et la naissance de l'opinion européenne : la régulation par la procédure, la norme, le droit.

Au passage, puisque les statistiques rapportées sont mondiales, la globalisation de l'économie et des échanges commerçants fédèrent sans ambiguïté les opinions publiques de tous les pays du monde.

Les annexes présentent un tableau impressionnant de 43 pages listant le nombre de manifestants dans quatre-vingt quinze pays, ville par ville, entre janvier et avril 2003. le nombre de plus de 35 millions est reconnu sous-estimé, la journée du 15 février apparaissant comme "la plus importante mobilisation de l'histoire". Les recommandations de la conclusion pour un pilotage de la promotion de l'opinion publique européenne par la multiplication des statistiques m'ont paru moins enthousiasmantes.