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Citations sur Vers la violence (134)

Oui, quand je l’ai rencontré, ce sont ses mains qui m’ont saisie. Ses mains et son calme.
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Notre histoire commence n’importe comment et dans le sang, comme toutes les véritables naissances.
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– C’est mon frein, explique Raphaël,
Nos regards se croisent, nos paniques s’entrechoquent : nous éclatons de rire. Tout est dans ce rire, un rire prosaïque et astral où nos âmes paraissent se reconnaître, ridicules et nues ; ce rire contient toutes les années que nous vivrons par la suite, chacune des disputes et des réconciliations, les fois où nous ferons l’amour avec une délicatesse redoutable, une puissance contenue, un sens infini de l’absurde.
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Il avait fallu du temps pour fabriquer Gérard, son goût des contes et du
risque, son cynisme inépuisable et ses regards à jamais enfantins. Il m’avait
fallu du temps pour le comprendre et plus de temps encore pour espérer un
jour pouvoir l’expliquer à d’autres. Mais, de même que je l’avais aimé
instantanément, et ce pour la vie, je m’en détachai en une seconde. Le
temps de refermer une porte sur une enfance qu’à tout jamais l’on quitte.
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Je me souviens d’avoir vu mon père comme je ne l’avais jamais vu :
faible, abruti par l’alcool, apeuré par l’existence. Son corps, qui m’avait
toujours paru massif, me semblait soudain sujet à l’embonpoint. Sa cravate
vert menthe, portée depuis des années et que j’avais trouvée
merveilleusement excentrique, me parut ridicule. Je l’avais cru fort : il était
gris. Je l’avais cru drôle : il était perdu. Je l’avais cru malin : il était
mauvais. Immobile sous ma couette, les doigts contractés sur le matelas,
j’essayais, tout en l’observant, de ne pas trop le dévisager, ni de trop lui
répondre. Je m’efforçais de donner à mon visage un air décontracté. Je
l’écoutais.
Il faut imaginer un homme qui parle seul dans la rue. Se le représenter les
yeux dans le vide ou dans une réalité parallèle, sa bouche agitée de
spasmes, il faut voir l’incertitude dans son regard, astrale, semblable à de la
folie. Il faut se représenter tout ça et confondre cette vision avec le corps de
votre père. Qui, à cet instant précis et pour la première fois de votre
existence, n’est plus votre père, mais un étranger. Il faut imaginer cet intrus
dans votre chambre, qui se comporte comme si vous aviez grandi ensemble,
ce réplicant ayant pris les apparences d’une personne aimée, qui essaye
maintenant de vous prendre la main, il faut l’entendre ensuite, au milieu de
votre silence et de votre sidération, il faut l’entendre vous dire qu’il a tué
des gens toute sa vie, qu’il a merdé, et de se mettre à pleurer, je sais que j’ai
merdé, et vous vous attendez ici à ce qu’il vous parle de sa mère ou de ses
enfants, mais non, rien de tout cela, soudain il change d’objet et change de
regard, il change peut-être même de ton et vous dit : cette jument ne m’avait
rien fait.
Et vos oreilles ne reviennent pas de ce qu’elles entendent, de quelle
jument parle-t-il ? Elle ne m’avait rien fait, répète-t-il, et pourtant je l’ai
tuée. Et vous n’osez pas lui demander ce qu’il entend par là, et le silence
pendant lequel votre père fond en larmes dure une éternité, puis il
recommence à parler, c’est pitoyable, il dit cela en boucle trois ou quatre
fois en regardant devant lui, au loin, inventant pour l’occasion un horizon
dans votre chambre, puis ses yeux vagues changent d’angle, il se retourne
vers vous :
– J’ai besoin d’en parler à quelqu’un tu comprends.
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De tout cela, je n’ai jamais reparlé à personne. Je repensais à l’arme, à
Jade et à la tristesse d’éventer un secret. Je préférais me taire. Une
technique de survie d’enfant, c’est de se faire tout petit. Quand on vit cerné
de problèmes, mieux vaut ne pas en être un soi-même. Alors de mon côté,
comme en pays étranger, j’étais sage, réservée, bonne élève pour la forme et
sans conviction. Bonne danseuse, surtout, car en mon for intérieur, le deal
était clair : si j’avais choisi ce sport de fillette, il fallait que j’y excelle.
Alors je lisais, jouais seule, attrapais des escargots le samedi et me
contorsionnais pour saisir mes pieds en pliant le moins d’articulations
possible. De taille, je n’étais pas haute, pas bien épaisse, discrète. J’aurais
voulu me faire plus petite encore : certains silences sont des stratagèmes
pour rapetisser.
La seule personne à qui je me confiai, en quinze ans, fut Ardent. Dès que
mes parents avaient le dos tourné, je m’approchais de son panier et lui
disais ma vie comme s’il eût été un journal intime qui bave et qu’on
caresse. Sur les feuilles qu’on nous demande de remplir à l’école primaire,
à la question avez-vous des frères et sœurs, je répondais toujours oui, un
chien, ce qui ne manquait jamais de faire sourire les professeurs, avec une
condescendance légère qui me déprimait déjà à 8 ans. Parce qu’au fond la
réponse que je donnais était la bonne. Encore aujourd’hui, je me souviens
d’Ardent comme du frère que je n’aurai jamais.
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Je me souviens de l’impression humiliante que j’éprouvais alors, qu’on
me parle comme à un enfant capricieux qui avait lui-même engendré son
chagrin. Comme si j’étais, moi-même, coupable d’avoir précipité dans la
rue une petite fille en justaucorps un après-midi de mars. Sous la table, je
pinçais ma main droite de ma main gauche, jusqu’à créer le début d’un
hématome, m’efforçant ainsi de me focaliser sur la douleur, ne montrant
rien des émotions contradictoires qui me traversaient. Ce geste-là me
resterait.
– Tu n’as qu’à lui expliquer que vous aviez mis la musique un peu trop
fort. La prochaine fois vous la baisserez, ça n’arrivera plus.
Ma mère prenait la défense de Gérard de manière éhontée, alors
j’essayais de respirer comme j’avais vu Jade le faire, mais me sentais perdre
pied. J’éprouvais, avec cette gravité propre au jeune âge, du désespoir. Un
désespoir d’enfant – dérisoire donc violent –, une envie de tout foutre en
l’air, la sensation intérieure d’un miroir qui se fend.
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Gérard, je ne le réaliserais qu’adulte, vivait dans un huis clos avec ses
enfants décédés.
Un dialogue s’était prolongé après leur disparition ; il leur parlait quand
il passait devant les billes et quand il remuait son yaourt, il leur parlait
encore quand il conduisait, quand il jouait, quand il riait et, pas toujours
sans doute, mais parfois, assez souvent pour que cela me marque, il leur
parlait à travers moi.
Le deuil consiste-t-il à substituer au défunt un autre être ? Étais-je
l’enfant qui venait remplacer l’enfant perdu ? Je ne l’espère pas et devine
que Gérard ne l’aurait pas voulu.
Inconsciemment pourtant, j’étais cette enfant qui vaincrait tout, devrait
tout savoir faire, devrait être dix fois à la hauteur des vies perdues, j’étais
cette enfant possible – une dernière chance de donner raison à l’absence.
Mais, je le sais maintenant, la mort a toujours tort.
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Johnny était l’idole de Gérard. Il avait été la colère bestiale de son adolescence : un moteur. Une certaine idée de l’affranchissement, qu’il découvrit d’abord avec ses copains de la marine, puis, plus tard, avec sa première femme, quelques amis éphémères, ses collègue de la police.
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Pour dire la disparition d'un enfant, il n'y a pas de mots. (...) Celui qui perd ses parents est orphelin, celui qui perd son épouse est veuf, mais celui qui perd ses enfants n'est rien.
Le mot existait par le passé, quand les morts infantiles étaient courantes. Depuis, la mort des enfants est devenue rare, inimaginable, et pour ne pas concevoir cette chose, sans doute, on a supprimé le terme.
(...) Pour dire la disparition d'un enfant, il n'y a rien.
Seul le silence.
Un silence lourd comme le ciel.
Un silence qui n'est pas pudeur, mais gêne.
Les quelques parents endeuillés que j'ai connus ou écouté parler, le disent tous. C'est le silence de leurs proches qui, après le décès de leurs enfants, les a le plus marqués. Personne n'osait poser des questions sur cette mort, rebondir, rétorquer.
Chacun voulait passer à autre chose le plus rapidement possible. Tu me recontacteras quand tu auras tourné la page, semblaient-ils dire. C'est-à-dire jamais.
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