Citations sur Ma vie sans moi, suivi de Le monde d'une voix (45)
Je serai dans le monde à partir de minuit
Avec les ronces et le travail de la rosée.
À partir de minuit je serai dans le monde
Avec le grand travail de la rosée dans les ronces!
NOUS SAVONS...
Nous savons que nous ne sommes pas sauvés,
Nous chantons sous la nuit sans espérance,
Sous les étoiles silencieuses,
Avec l'inutile splendeur de la conscience.
LES FLEURS, LES CLAIRS DE LUNE…
Les fleurs, les clairs de lune, les haies dans l’aube
Furent dans ma vie féérie qui s’évanouit.
Nous ne pouvons pas tenir notre vie
Sous les chênes et les lieux légendaires.
On est trop faible pour la fête de la terre.
On est là, mendiant sous les étoiles,
Visage misérable, détresse au cœur.
La mort partout chez nous !
(Malgré mes voluptés) nous restons des moines devant la mort !
Le monde d'une voix
LES LIVRES ET LES SOURCES
Celui qui, sourd au monde,
S'enivre de connaissances
En voyant dans les pages
Passer vraiment le rire et les rives
De ses premiers amis ruisseaux,
Si frais qu'il y rafraîchit ses doigts,
Il retrouve lorsqu'il met sa tête dans les fougères
La source des livres ;
Et les lettres grisonnantes des eaux de fontaine
Et les gouttes qui font la pluie calme dans les livres
Lui sont le même repos
Mouillé d'enfance du monde,
Et sa tête , même fatiguée, ne logera pas fatigue.
p.223
L'homme qui jamais n'eut personne pour lui
Déjà changeait l'avenir par ses souffrances.
Par malheur il ne pouvait rien faire dans le passé :
Qui aimait l'argent, les situations sociales, avait
triomphé.
Il lui restait le désert.
Si quelqu’un vous a volé,
Dites-lui : « Il me reste encore ceci que vous n’avez
pas volé.
Vous êtes très négligent, venez me le voler. »
Si quelqu’un, très affaibli de mal, vous fait du mal,
Demandez-lui de vous faire davantage de mal
Pour que vous puissiez lui faire davantage non-mal.
Quiconque veut vous détruire,
Dites-lui : « Je veux vous reconstruire ! »
Si vraiment il est trop faible, aidez-le à vous faire du mal.
Les ténèbres ignorent les non-ténèbres,
Mais les non-ténèbres n'ignorent pas les ténèbres.
De sorte que les ténèbres ne progressent dans leur
état de ténèbres
Qu'au bénéfice des non-ténèbres.
p.96-97
LES ANCIENNES SOUCHES...
les anciennes souches, nul n'a pu me les arracher.
Avec le temps des aubes nettes, des longues, dures
nuits de tourments,
Toujours j'ai rêvé
D'accéder à tous les sommets de l'esprit ;
J'ai accepté de devenir visible et risible,
J'ai accepté de paraître parmi les maîtres de la vanité,
Afin de montrer ce que peuvent les miens,
J'ai voulu passer aux miens les armes de l'âme ;
Un jour très proche j'aurai de nouveau mes fêtes
Avec la sueur aux mille sourires sur mon corps.
En de très vieux temps, où je parus exister,
On prétendit m'avoir rencontré.
Me faufilant à rebours dans les âges,
J'ai empoigné, secoué les années où je fus dit en vie,
Attendant qu'en tremblotement de poussière mon
avant-vie ait dansé,
J'ai dansé dans la poussière toutes les danses de
l'avant-vie.
Je ne rendrai pas compte de la vie
Qu'on dit avoir été ma vie.
Abusivement inséré en vie,
Contre toute mon évidence à partir de 1912 je fus
dit en vie.
On établit contre moi des constats de présence :
Je fus pris en flagrant délit de vie.
Telle est la légende bien établie.
Le monde d'une voix
DERNIERS POÈTES D'EUROPE
Aiguisés dans l'exigu,
Vagabonds casaniers,
Ils convoquent le monde devant leur chambre ;
Ils demandent que les vents, la mer, les nuits les plus profondes
Usent de ruse devant leurs serrures.
Celui-ci,
Au long des remous d'un verre d'absinthe,
Titube jusqu'à l'horizon.
Celui-là,
D'une cour poussiéreuse
Fait un règne pour séraphin de terreur ;
Dans une conque Valéry entend toute la mer ;
Un mi-cloître, mi-parloir suffit à Mallarmé.
p.212
Le monde d'une voix
LA CHAMBRE
La chambre croyait qu'il fallait
Un homme pour la réveiller ;
Chaque soir elle faisait un prisonnier,
Le liait jusqu'à l'aube ;
Jambes, épaules, ses quatre murs
Le maintenaient, très durs.
Elle a découvert
Que les charrettes réveillent mieux ;
Maintenant elle préfère
Sommeiller seule ;
Dans l'aube avec le premier bruit d'essieu,
Rapide, fraîche, elle cahote ;
Très sûrs,
Ses jambes, épaules, quatre murs.
Dans ce pays très gourd nul n'a rien remarqué.
p.176
O miens si obscurs, pour me garder près de vous il me faudrait pendant toute ma vie le moins de mots possible et chaque jour, malgré ma nouvelle existence, une retraite près des plantes, une main passée dans la crinière des chevaux. Pour rester près de vous malgré moi, malgré ma vie, j'ai vécu toutes mes nuits dans les songes et, le jour, je me suis à peine réveillé pour subir une vie où je n'étais plus.
LES GESTES DES AJONCS…
les gestes des ajoncs sur moi se sont posés !
L'oreille fine, les rochers m'ont écouté.
La terre m'a fait dans l'aube une gorge
Blanche, secrète, bien creusée.
Dans le temps du plus grand des massacres,
Nous vîmes dans le soleil couchant
Une place de fougères molles, jaunissante
Pour le sommeil terrible et rayonnant des mourants.
p.187