C'est du Rochette. Voilà, il n'y a rien à redire. C'est beau, poignant, onirique et grave.
Gueule cassée de la Grande Guerre, Édouard Roux monte à Paris pour rencontrer la sculptrice animalière Jeanne Sauvage qui pourra peut-être lui redonner un visage...
Elle est une artiste accomplie qui fréquente assidument le cercle de Montmartre et elle l'initiera à l'art. Édouard, quant à lui, se montre très réceptif à cette forme de communication car il porte en lui, sans s'en douter, de grandes connaissances issues de sa culture ancestrale.
Amoureux l'un de l'autre, ils iront de Paris à Grenoble, puis de Grenoble à Valchevrière et au Cirque d'Archiane dans le Vercors où Édouard lui fera découvrir la majesté de cette montagne sacrée.
Il lui racontera l'histoire de la dernière ourse abattue alors quand il était enfant.
Jeanne en sera si bouleversée qu'elle sera en mesure de réaliser le chef d'oeuvre qui la consacrera...
L'époque est sombre et le dessin est sombre.
Pour bien profiter du graphisme époustouflant de
Jean-Marc Rochette, c'est un album à lire en pleine lumière, sous un soleil indirect.
Alors seulement, la gravité et la beauté des images vous emporteront.
Pour ceux qui ont l'immense bonheur de connaître le Vercors, ils reconnaitront toutes les vues ; celles d'hier et celles d'aujourd'hui. On ne manquera pas de ressentir que l'auteur est animé d'un amour puissant pour la montagne et la nature qui sont malheureusement de plus en plus piétinées et dévorées par des ignorants.
Le Vercors, ce grand vaisseau de pierre, a longtemps tenu les hommes hors de portée de ses vastes plateaux.
Rares étaient ceux, depuis le néolithique jusqu'au 19e siècle, qui ont eu le courage d'arpenter ses espaces protégés. Mais depuis 200 ans à peine, l'Homme a trouvé quelques failles pour y pénétrer et son appétit gargantuesque à fait le reste ; il a détruit les bois profonds, tué
le loup, tué l'ours, exploité cet espace naturel splendide.
Il a réduit en esclavage une puissante divinité d'un autre âge.
C'est ce que veut nous dire Rochette à travers ce récit puissant, parlant d'écologie, de féminisme, et de l'histoire de l'art.
Et pour parler de Jeanne…
Jane Poupelet (1874–1932) a fait l'école des Beaux-Arts de Bordeaux, puis l'académie Julian de Paris. Proche de Bourdelle et de Rodin, elle joue un rôle important dans la «bande à Schnegg», un groupe de sculpteurs novateurs. Elle fréquentera les artistes américains et (très important) les féministes anglo-saxonnes. Pendant la guerre de 14-18, elle réalisera des masques pour redonner la vie et leur honneur aux gueules cassées.
Elle saura être indépendante. Libre. Moderne.