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Critique de Sachenka


Au-dessus de la mêlée est un manifeste pacifiste, surtout une compilation d'articles écrits par Romain Rolland entre 1914 et 1915. Je ne sais pourquoi, je m'attendais plus à un essai, plutôt qu'à un ensemble disparate de lettres et d'éditoriaux. Ils sont tous sur les mêmes thèmes (bien que pas tous sur le même ton, selon le destinataire) mais, parfois, la ligne directrice me semblait grouiller un peu. Quoiqu'il en soit, à cette époque, il n'était pas un auteur particulièrement connu ou lu. Son oeuvre principale était Jean-Christophe, racontant en dix volumes les aventures, la vie d'un musicien allemand établi en France. Une série de romans mettant de l'avant sa passion pour la musique et l'Allemagne mais qui, cent ans plus tard, ne soulève qu'un engouement modéré.

C'est son engagement pacifiste qui permettra à Rolland de se distinguer. Dans les mois qui précèdent et qui suivent le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les intellectuels se battent à coups d'éditoriaux. “Eucken contre Bergson, Hauptmann contre Maeterlinck, Rolland contre Hauptmann, Wells contre Bernard Shaw. Kipling et D Annunzio, Dehmel et de Régnier chantent des hymnes de guerre. Barrès et Maeterlinck entonnent des péans de haine. » (p. 69). de part et d'autre, on assiste à une surenchère de propos péremptoires ou hargneux.

Rolland, lui, tend la main à gauche et à droite. À ses compatriote (pour calmer leurs ardeurs) mais aussi aux hommes de l'autre côté de la frontière. « Une fois de plus, je m'adresse aux frères ennemis. » (p. 99). Rolland critique la vision patriotique à l'excès des Allemands. Il ne nomme pas toujours ceux qu'il vise mais on peut reconnaitre Gerhart Hauptmann, entre autres. À ses yeux, le conflit prend des airs de guerre sainte, presque de croisade. Tant pis pour la neutralité de la Belgique, pour les incendies de la bibliothèque de Louvain et de la cathédrale de Reims et « la route dévastée de Liège à Senlis ». La destruction du patrimoine de l'humanité.

On lui répond que, la guerre, c'est la guerre. Il n'y a qu'un seul but, qu'un seul objectif : la victoire à tout prix. Rolland oppose à cette vision une défense de la culture européenne commune. Même s'il tend la main aux Allemands, militant pour la paix, ses attaques à peine voilées contre les intellectuels prussiens qui soutiennent la guerre et ses conséquences n'aide pas sa cause. Elles ne servent que de prétexte à ceux-là pour se retrancher derrière leurs idées préconçues. « Êtes-vous les petits-fils de Goethe, ou ceux d'Attila? » (p. 49) Je ne suis pas certain qu'une pareille entrée en matière persuade quelqu'un qui se croit dans son droit. Mais bon, on peut nier que cela fait réagir et réfléchir, si pas Hauptmann et sa suite, les plus modérés.

Du côté français, les choses ne se présentent guère mieux. Ses appels à la paix ne sont pas écoutés. Pis, ses sympathies germaniques le rendent suspicieux. En effet, il comptera parmi ses correspondants et amis Stefan Zweig, pacifiste également mais surtout – et malheureusement – Autrichien.

« […] on me reproche essentiellement deux choses :
1. Mon refus d'englober dans la même réprobation le peuple allemand et ses chefs, militaires ou intellectuel ;
2. L'estime et l'amitié que je conserve pour des hommes de cette nation avec qui nous sommes en guerre. » (p. 121)

Et c'est vrai. On ne peut le nier, que ce soit par sa saga Jean-Christophe ou bien par ses propres propos. « […] vous savez combien j'aime votre vieille Allemagne et tout ce que je lui dois. Je suis fils de Beethoven, de Leibnitz et de Goethe, au moins autant que vous. » (p. 83). Mais ce sont des attaques faciles. Aujourd'hui, l'on dirait qu'il fait preuve d'ouverture d'esprit et d'honnêteté intellectuelle. Quoiqu'il en soit, l'engagement de Romain Rolland en faveur de la paix et de l'harmonie entre les nations sont plus importants que des attaques mesquines et opportunistes. Ainsi, Au-dessus de la mêlée se termine sur un message d'espoir. « Les destins de l'humanité l'emportent sur ceux de toutes les patries. Rien ne saura empêcher les liens de se reformer entre les pensées des nations ennemies. » (p. 172). Et l'histoire lui donnera raison (après un hiatus) avec la création de l'Union européenne.
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