Me voilà, n'est-ce pas, bien justifiée ? Pour montrer qu'une réaction toute simple est normale, il m'a fallu aller chercher les penseurs grecs et l'ordre du monde ! Ce n'est pas la première fois que je le constate : quand on éprouve un malaise furtif, et que l'on se met à y réfléchir à loisir, on se perd de plus en plus loin.... Et il n'est même pas certain que l'on arrive à se donner la justification à laquelle, secrètement on aspire.
Ce n'est qu'un moment qui passe, tout léger, un soupir de contentement, comme la caresse d'une aile de papillon ou un souffle de brise.
… le bruit amical des anneaux qui glissent sur les tringles, à voir se déployer ces grandes surfaces un peu dorées des rideaux qui me ramènent dans l'intérieur bien clos qui est mon univers.
Grâce à ce geste, la pièce toute entière m'accueille ; et je me sens ici à l'abri, protégée de tout.
Dans la pièce retrouvée, j'allume les lampes ; et mon petit monde à moi se reforme, amical et familier.
Peu à peu, année après année, jour après jour, nous nous abîmons ; et nous percevons de mieux en mieux que la fin approche.
Nous le savons tous depuis toujours.
Et, tous ceux qui ont disparu avant nous, que nous aimions, qui nous aimaient, nous ont trop clairement appris ce que c'est que d'être mortel.
Et nous y pensons, bien entendu ! Nous y pensons quelquefois, souvent ; mais nous essayons de ne pas trop insister.
Là aussi, nous mettons un gros oreiller par-dessus toutes ces pensées, pour pouvoir continuer à vivre.
Les roses de la solitude ne sont pas des roses sans épines.
Mais les souvenirs cheminent en nous alors que nous croyons les avoir fermement relégués dans l'oubli.
Car c'est cela que font les vers ! Ils constituent une langage littéraire, qui nous détache du monde réel et des habitudes quotidiennes.
Ils se répètent, s'enchaînent, se glissent dans la mémoire.
Mais il ne me déplaît pas que vous pensiez que le grand âge n'exclut nullement la possibilité de ces ferveurs naïves, toujours renaissantes, qui sont la vie même.
Il ne manque pas de sentiments profonds que l'on remarque à peine.
Mais c'est parce que la lecture de Racine vous élargit le cœur, qu'elle vous place au-dessus de votre propre vie, et vous aide à mieux mesurer la portée de ce qui vous a entouré, et qui, à présent, prend une dimension nouvelle. On ne "reconnaît" pas les sentiments qu'expriment les héros raciniens : on les découvre dans toute leur force et on les fait siens, s'ouvrant ainsi à tous les sentiments qu'il ne nous a pas toujours été donné de connaître.