Il y a d'abord eu "
Rebecca", adoré et dévoré pour la première fois alors que j'étais lycéenne, puis "
Ma cousine Rachel". Ensuite, "
l'Auberge de la Jamaïque" -qui, je le confesse m'a un peu ennuyée, "Les Oiseaux", le formidable "Bouc émissaire" et cette sublime biographie de
Branwell Brontë. Je crois d'ailleurs que si je devais n'en garder qu'un, ce ne serait pas "
Rebecca" mais celui-là.
Il y a les autres aussi que je voudrais découvrir. Peut-être pas tous mais au moins "
La Maison sur le Rivage" et "
La Crique du français".
Ainsi,
Daphné du Maurier a fait mes délices de lectrice et ses romans m'ont fascinée.
Adolescente, je ne la voyais que comme les critiques et la presse voulaient bien nous la montrer: non pas comme une auteur fleur bleu pour donzelles en blanc, mais comme chantre du romantisme gothique chère à cette bonne vieille Angleterre et digne héritière des soeurs Brontë -en tout cas de Charlotte et Emily, je n'aime pas tellement les écrits d'Ann, mais ça c'est une autre histoire-.
En me replongeant quelques années plus tard dans ses oeuvres (c'est toujours un peu dangereux de relire ses amours d'adolescente), je me suis rendue compte tout d'abord que j'aimais toujours beaucoup ses romans mais pour de toutes autres raisons que celles de mes quinze ans et que si on pouvait trouver la dame de Cornouaille romantico-gothique, elle était aussi beaucoup plus que cela: il faut saluer la finesse et l'acuité de la construction et de l'analyse psychologique de ses personnages, sa modernité, la noirceur déroutante et parfois glauque de son univers, la profondeur des thèmes qui affleurent. "
Rebecca", ce n'est pas qu'une histoire d'amour et de tempête, c'est aussi le roman de la jalousie, du désir et de la frustration...!
Et puis, ces narrations à la première personne, émanant parfois de personnages masculins..!
C'est là que je me suis dit que
Daphné du Maurier devait être sacrément plus fascinante que l'image que j'en avais: celle d'une lady anglaise taillant ses roses quand elle n'écrivait pas face aux paysages grandioses de la Cornouaille et que j'ai entrepris de chercher une biographie dont elle serait le sujet.
Je suis très loin d'être une inconditionnelle de Tatiana de Rosnay (d'elle, je n'ai aimé que "
Elle s'appelait Sarah" avant d'accumuler quelques déceptions qui m'ont faites renoncer au moins temporairement à ses écrits) mais elle m'avait convaincue de me procurer "
Manderley for ever" au cours d'une interview entendu sur France Inter.
Bien m'en a pris car je sors convaincue de sa biographie de Daphné du Maurier!
Dans une langue fluide et infiniment agréable à lire, la romancière se fait biographe et déroule pour nous le fil de la vie de celle qui -elle l'avoue dans la préface- demeure l'une de ses auteurs préférés-. On aurait pu craindre, de fait, un ouvrage par trop hagiographique ou romancé, mais force est de constater que
Tatiana de Rosnay la romancière a sacrifié à tout le travail d'une biographe en mettant ses pas dans ceux de son sujet, jusqu'en Cornouaille, en s'aidant d'une très solide documentation (biographies antérieures, lettres, interview, mémoires de Daphné du Maurier elle-même), une matière riche, complexe qu'elle traite avec finesse et précision.
C'est donc un plaisir de se faire raconter la vie de la créatrice de Rachel et
Rebecca, de son enfance dans un quartier huppé de Londres au jardin de Menabilly, le manoir tant aimé mais jamais possédé; de faire connaissance avec sa famille au moins aussi romanesque que des personnages de roman: la mère comédienne aimante, le père -célèbre- et avec lequel elle entretint une relation ambiguë, le fantôme du grand-père auteur et fier de ses racines françaises, les deux soeurs avec lesquelles Daphné partageait ses confidences, son code secret et son incroyable liberté... Se mettre dans les pas de la célèbre auteur, c'est aussi se rendre compte des affres de la création et de l'écriture, être au plus près d'une femme qui aurait voulu naître garçon, se rendre compte combien la fiction peut jaillir d'une étincelle de réel et aller à la rencontre de ses amours: ses maîtresses, son époux, ses maisons aussi et surtout.
A titre purement anecdotique, j'ai été fascinée d'apprendre les liens familiaux qui unissaient les
Du Maurier aux Llewelyn Davies: pour l'amoureuse de Peter Pan que je fus, c'est une vraie révélation!
Une vie comme un roman, à laquelle
Tatiana de Rosnay rend toute son feu et sa complexité, qui donne envie de relire les romans que l'on connaît pourtant bien, à la lumière de l'existence de leur auteur.
Ma seule réserve réside dans l'emploi du point de vue interne qui m'a parfois gênée... Trop romanesque et inapproprié pour un texte qui se veut biographique et documentaire, même pour la biographie de Daphné du Maurier. Cela pourrait presque décrédibiliser le propos s'il ne prouvait déjà pas sa rigueur par ailleurs.