En résumé, Lao-tse nous prouve par son livre qu’il avait acquis une puissante aperception de la loi du Devenir appliquée à l’univers et à son but ; mais que, faute d’avoir su tirer de cette aperception les conséquences dont elle était susceptible, il n’a pu y découvrir la base d’un système général sur les lois de la vie et de la destinée. De ses théories incomplètes, il ne devait découler aucun enseignement moral et pratique, aucune application religieuse ; elles ne pouvaient conduire qu’à préconiser le retour à l’état de nature et à condamner d’une façon plus ou moins formelle le travail de l’esprit et le progrès par l’activité humaine. L’histoire du Taoïsme, dans les siècles qui ont suivi l’époque de son illustre fondateur, ne prouve que trop la justesse de cette appréciation.
Parmi toutes les doctrines spéculatives et religieuses du monde asiatique, il n'en est peut-être aucune, si on en excepte le Bouddhisme, qui ait témoigné d'une puissance d'aperception égale à celle du philosophe Lao-tse. Nulle part, du moins, dans les temps antérieurs à notre ère, on n'a formulé d'une manière plus saisissante et en même temps plus sobre et plus réfléchie la loi suprême de l'univers, et nulle part, on n'a su mieux; la dégager de tout attribut anthropomorphique.
Lao-tse n'a laissé à la postérité qu'un livre unique et un livre très court, divisé par sentences souvent aussi obscures que les oracles de la Pythie, et qui s'appelle, soit de sa volonté, soit de la volonté de ses très rares sectateurs, Tao-teh King. La traduction de ce titre, si cela peut passer pour une traduction, nous sommes obligé, par prudence, de la renfermer provisoirement dans ces mots : « Le Livre du Tao et de la Vertu. »