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Citations sur Le réel - Traité de l'idiotie (11)

Le site de l'insignifiance, lieu où coexistent et se confondent tous les chemins, ne peut apparemment pas être décrit comme un état, car il est plutôt la négation de tout état, mais peut tout aussi bien être décrit comme l'état par excellence : possédant en effet la vertu qui fait défaut à la plus tenace des stabilités, à la plus durable des organisations, celle de n'être susceptible d'aucune modification.
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Sur l’album de Tintin « L’oreille cassée »

Le fétiche que l’on poursuit en Amérique est en Europe, dans une malle, à portée de la main. De même, dans d’autres albums du même Hergé (Le secret de la Licorne, Le trésor de Rackham le Rouge), le trésor convoité n’est pas situé dans l’océan Atlantique, où on va le chercher, mais chez soi, dans sa propre cave : il suffit d’y mettre le doigt pour le trouver, comme il suffisait d’ouvrir la malle de Balthazar pour y trouver le fétiche. C’est là également, on le sait, le sort de cette Lettre volée, d’Edgar Poe, qui échappe à toutes les investigations policières pour être placée bien en évidence sur la table. Le regard du désir est un regard distrait : il glisse sur le présent, l’ici, le trop immédiatement visible, et ne réussit à être attentif qu’à la condition de porter son regard ailleurs. Et puisqu’il est ici question de fétiches, on remarquera que ce « sort » attaché au regard du désir – de toujours regarder ailleurs, de tout voir hormis ce que l’on cherche à voir – définit le sort de ceux que la psychiatrie appelle, précisément, des fétichistes. Le fétichiste reste froid devant la chose elle-même, laquelle lui apparaît comme muette, incolore et sans saveur ; il est ému non par la chose mais par quelque autre chose qui la signale. D’où un refus du présent et de l’ici, c’est-à-dire un refus du réel en général, puisque le présent et l’ici en sont les deux coordonnées fondamentales. On ne peut s’intéresser à la fois au fétiche (c’est-à-dire au réel) et à ce que le fétiche est censé représenter (c’est-à-dire au « vrai », par opposition au double, au faux). Qui cherche le fétiche trouvera le fétiche ; mais qui cherche ce que le fétiche représente ne trouvera rien, et en tout cas pas le fétiche.

Bref : ne cherchez pas le réel ailleurs qu’ici et maintenant, car il est ici et maintenant, seulement ici et maintenant. Mais, si l’on ne veut pas du réel, il est préférable, en effet, de regarder ailleurs : d’aller voir ce qui se passe sous le tapis, ou en Amérique du Sud, ou dans la mer des Caraïbes, n’importe où pourvu qu’on soit assuré de n’y jamais rien trouver. Car on n’y trouvera jamais rien d’autre que ce qu’on y cherchait réellement : c’est-à-dire, précisément, rien.
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Précisons ici la suite des idées qui résume (…) ce qui tenait le plus au cœur de Proust, du moins en matière de philosophie : Je suis heureux quand j’éprouve quelque chose qui, étant en rapport à la fois avec le temps passé et le temps présent, n’est pas en rapport avec le présent qui passe – qui est donc sans rapport avec le présent et sa pauvreté (Baudelaire ici renchérirait : avec le réel et sa banalité).
L’erreur de Proust n’est ici pas tant de privilégier l’imagination aux dépens de la parution du réel – privilégiation dont il convient d’ailleurs lui-même de façon explicite : « Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent » – que de prendre pour souvenir la simple apparition du réel, son « épiphanie », de prendre pour représentation seconde ce qui est en fait présentation première.
La « réminiscence » proustienne n’est pas un souvenir pour cette simple raison qu’elle ne reproduit aucune image. Un souvenir répète une présentation ; c’est en quoi d’ailleurs elle peut constituer, à la rigueur, une « re-présentation ».
Mais rien de tel dans les réminiscences évoquées par Proust. La réminiscence proustienne ne remémore rien parce qu’elle est précisément – et c’est là tout son intérêt – la première « représentation » du réel, c’est-à-dire sa présentation inaugurale, qui signale l’émergence d’un certain réel à la surface de la conscience. Lorsque Swann – pour s’en tenir à cet unique exemple – réentend le thème de la sonate de Vinteuil qui lui évoque le temps de ses premières amours avec Odette, il ne se rappelle pas, à proprement parler, l’intensité du sentiment qui l’a lié, et le lie encore, à Odette : il en prend simplement conscience. Il y a ici non pas souvenir mais saisie, aperception, découverte.
Le réel n’est pas revenu, il est arrivé. Il est dommage que Proust, si attentif à cette éclosion du réel à la surface de la conscience, ait cru devoir le congédier sitôt né, et ait fait reposer l’intimité de son bonheur sur sa faculté à l’évacuer.
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(...) Il est étrange que tant d'énergie intellectuelle se dépense à vouloir percer à jours le sens du devenir et de la raison de l'Histoire, c'est à dire le sens de ce qui n'a pas de sens. [ I, 4 ]
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Que l’homme soit privé de chemin ne signifie pas du tout qu’il soit perdu dans un labyrinthe, ne sachant pas, pour aboutir, s’il vaut mieux emprunter le chemin de gauche ou le chemin de droite et retrouvant, à chaque nouveau carrefour, un problème analogue. Dans le labyrinthe il y a un sens, plus ou moins introuvable et invisible, mais dont l’existence est certaine : sont donnés de multiples itinéraires dont un seul, ou quelques rares, sont les bons, les autres ne menant nulle part. Le labyrinthe n’est donc pas un lieu où se manifeste l’insignifiance ; bien plutôt un lieu où le sens se révèle en se recélant, un temple du sens, et un temple pour initiés, car le sens y est à la fois présent et voilé. Le sens y circule de façon secrète et inattendue, à la manière de l’itinéraire improbable et déroutant que doit emprunter l’homme égaré dans le labyrinthe s’il veut trouver une issue. À l’absence de chemins – c’est-à-dire à leur omniprésence – propre à l’insignifiance s’oppose ici la complication des chemins. On sait le goût moderne pour les jeux du sens d’ordre labyrinthique : disparition du sens là où on le guettait, réapparition du sens là où on ne l’attendait pas, fausses communications entre éléments voisins et homogènes, communications véritables entre éléments lointains et disparates. Goût philosophique, comme en témoignent les premières lignes des Mots et les choses de Michel Foucault, la Logique du sens de Gilles Deleuze et son étude des paradoxes du sens, la bande de Mœbius et autres nœuds borroméens de Jacques Lacan. Goût littéraire : labyrinthes de Robbe-Grillet, itinéraires mystérieux et communications secrètes de Michel Butor, « jardins aux sentiers qui bifurquent » chez Borgès. Le goût du labyrinthe est manifestement un goût du sens qui, à le considérer isolément, traduirait plutôt une indifférence de la modernité à l’égard de la question de l’insignifiance.
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Un mot exprime à lui seul ce double caractère, solitaire et inconnaissable, de toute chose au monde: le mot idiotie. Idiötès, idiot, signifie simple, particulier, unique; puis, par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d'intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu'elles n'existent qu'en elles-mêmes, c'est-à-dire sont incapables d'apparaître autrement que là où elles sont et telles qu'elles sont: incapables donc, en premier lieu, de se refléter, d'apparaître dans le double du miroir. Or, c'est le sort finalement de toute réalité que de ne pouvoir se dupliquer sans devenir aussitôt autre: l'image offerte par le miroir n'est pas superposable à la réalité qu'elle suggère. C'est le cas, notamment, de l'univers, qu'Ernst Mach a décrit, dans une formule très étrange et très profonde, comme "un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas ou, du moins, ne nous est pas connu*".

* Cité par R. Caillois, Cohérences aventureuses, Gallimard, p. 243
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Il n'est pas de remède contre la clairvoyance : on peut prétendre éclairer celui qui voit trouble, pas celui qui voit clair. [ I, 7 ]
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1) toute réalité est nécessairement quelconque, oui - hormis le fait de sa réalité même, qui est l'énigme par excellence, c'est-à-dire tout le contraire du quelconque.
2) toute signification accorée au réel est illusoire, le hasard suffisant à tout expliquer, - oui - mais en précisant que le hasard rend compte de réel, en tant qu'il advient, nullement en tant qu'il est.
3) il n'y a pas de secret de l'histoire, -oui - mais il y a un mystère de l'être.
p. 48
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L'aptitude à récuser le réel par l'intermédiaire du langage constitue une faculté à la fois déplaisante, par l'hypocrisie qui s'y trouve, consciemment ou non, attachée, et fascinante, par sa surprenante et souveraine efficacité. L'homme des mots est inattaquable : il a toujours un mot pour détruire le réel qu'on lui montre, un autre mot pour effacer le réel émanant de sa propre personne.
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1) toute réalité est nécessairement quelconque, oui - hormis le fait de sa réalité même, qui est l'énigme par excellence, c'est-à-dire tout le contraire du quelconque.2) toute signification accorée au réel est illusoire, le hasard suffisant à tout expliquer, - oui - mais en précisant que le hasard rend compte de réel, en tant qu'il advient, nullement en tant qu'il est.3) il n'y a pas de secret de l'histoire, -oui - mais il y a un mystère de l'être.
p. 48
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