Si les premiers humains arrivés en Amérique du Sud, étaient bien des peuplades de chasseurs-cueilleurs, longeant les côtes et remontant les fleuves, ils devinrent bientôt semi-nomades vivant de la pêche, et de la collecte de coquillages, édifiant des monticules pour se mettre à l'abri des crues et des pluies équatoriales. Ils s'aventurèrent dans les savanes intérieures, près des hauts plateaux, certains monts devenant des lieux de culte (pensons aux monts Tumuc-Humac pour les indiens Wayana, avec les peintures rupestres de Mamilihpan ou avec les Kassim-Kassima). Quelques siècles, peut-être un ou deux millénaires après l'ancien monde, l'
Amazonie devint le premier foyer d'agriculture en Amérique, où fut développée la même technique agricole des abattis-brûlis.
Mais les
Amazoniens ne s'arrêtèrent pas à ce premier stade et apprirent à maîtriser leur environnement pour vivre en terrain inondable. En perfectionnant leurs techniques d'édification de monticules ils créèrent de petites dunes pour y installer leurs villages et leurs cimetières. Tout en se protégeant de l'érosion du littoral, ils contrôlaient les crues et déviaient les cours d'eau en creusant des canaux, pour profiter d'une terre fertile, saine et correctement irriguée. En concentrant leurs déchets organiques d'occupation, leurs débris d'artisanat, peut-être en y mettant le feu à couvert, ils formèrent de la terra preta, engrais riche en carbone et extrêmement efficace (sorte de super compost).
Les
Amazoniens inventèrent également une nouvelle technique agricole ultra performante, nécessitant une bonne organisation sociale : celle des champs surélevés constitués de butes et de tertres plus ou moins hauts, parallèles à la pente pour mieux drainer l'eau, ou perpendiculaires dans les hauteurs pour la retenir. Avec cette maîtrise de l'agriculture, ils cultivèrent sur une terre difficile de nombreux légumes, racines et plantes, suffisantes pour faire vivre de grandes populations.
Par leur maîtrise des voies fluviales, et par les chemins surélevés qui leur permettaient de se rendre à sec du village aux champs et même aux villages voisins, ils créèrent un réseau étendu d'échanges commerciaux et culturels. Des villages se spécialisaient dans la production de poteries, d'autres dans le tissage de hamacs ou de pièces de vêtements de cérémonie, d'autres encore dans la sculpture de bijoux de pierre rare en forme de grenouille (les grenouilles et les tortues sont des animaux sacrés pour les cultures amérindiennes), d'autres de bijoux communs en bois… Selon les traces archéologiques, la grande avancée culturelle et technique de leur civilisation eut une grande influence sur les civilisations amérindiennes voisines.
Cette civilisation brillante et diverse périclita avant même l'arrivée des Européens, sans doute à cause de multiples guerres intestines, leurs aménagements territoriaux servant à la construction de places fortes surélevées, entourées de douves… Les Européens ne trouvèrent plus qu'une civilisation affaiblie, repliée sur elle-même, divisée, qu'ils décimèrent facilement par la propagation de maladies dévastatrices.
L'auteur propose dans son titre deux alternatives de forme oxymorique qui ont l'air de revenir au même : « jardin sauvage » et « forêt domestiquée ». le second semble le plus approprié car il laisse penser que les
amazoniens avaient une pleine maîtrise de leur territoire, et qu'ils l'ont « domestiqué » comme on le fait d'un animal au départ farouche. le « jardin sauvage » laisse penser que les primitifs se servaient de fruits et de plantes, mais le laissaient vivre. On pensera également à l'étymologie du mot paradis (provenant du farsi : « jardin »), ainsi qu'à l'opinion de
Christophe Colomb à son arrivée sur la côte : il y a vu un petit paradis là où tout le monde après lui a vu un enfer vert. L'oxymore pourrait aussi illustrer ce retour à l'état sauvage de l'ancien jardin aménagé d'une civilisation détruite.
L'image est forte : croire que l'on peut déduire les pratiques et la culture d'une riche civilisation de plusieurs millions d'individus sur un territoire de la taille de l'Europe en observant le comportement de quelques bribes de populations décimées, éparpillées, retranchées… L'ethnologie nous a ainsi longtemps induits en erreur là où l'archéologie permet de nous donner des informations plus complètes. Les amérindiens d'
Amazonie se contentent et semblent s'être contentés de cultiver le manioc, tubercule plutôt pauvre. Pourtant les analyses des terres agricoles précolombiennes montrent qu'ils cultivaient autrefois de nombreux autres aliments, le maïs par exemple qu'ils auraient transmis aux civilisations voisines. C'est que le manioc est une tubercule contenant un poison, ce qui rend difficile sa consommation par des animaux sauvages autant que peu profitable pour des pilleurs. Une culture de choix en temps de guerres…
L'ouvrage reconstitue assez bien, quoique d'une manière un peu désorganisée, ce type de civilisation qui pratiquait la technique des champs surélevés, documentés par nombreuses vues aériennes, résultats d'expérimentation, photos, croquis de champs, villages et objets de culture. Mais la quantité d'informations concernant d'autres cultures a tendance à brouiller un peu cette vision. On entrevoit d'autres structures de civilisation et de cultures qu'on aurait aimé voir traiter afin de mieux cerner celle qui vivait des champs surélevés, à commencer par cette forte population qui vivait au bord des grands fleuves Amazone et Orénoque, sur un système agricole reposant sur l'utilisation des crues, pareil à celui de l'Égypte antique (les champs surélevés quant à eux feraient davantage penser aux systèmes d'irrigation perse ou inca, en inversant les données du problèmes puisqu'il s'agit davantage de drainer le surplus d'eau que d'en amener). Quelles étaient leurs pratiques culturelles, leurs croyances, leur mode de vie ? Cette civilisation fluviale et littorale dans ses origines, rappelle cette étape intermédiaire de civilisation précédant la sédentarisation qui se serait déroulée près des lacs et des mers, avec pour principale ressource la collecte de coquillages et la pêche, mais qui aurait été perturbée et effacée notamment par la montée des eaux (dans le documentaire Amérindiens Wayana, un peuple entre deux mondes,
Didier Bergounhoux, cite un mythe du déluge où les enfants divins, à la manière de Noé, seront seuls survivants, protégés par la tortue, femme du dieu, puis par une grenouille).
L'auteur mentionne par exemple les pendentifs en forme de grenouille souvent retrouvés lors des fouilles. Cet animal amphibien, tant terrestre que maritime, espèce omniprésente et d'une très grande variété, créant toute cette ambiance nocturne fabuleuse des forêts, semble avoir joué un rôle très important dans les cultures et croyances de l'
Amazonie. Qu'on pense ainsi aux roches gravées de la Carapa à Kourou, gravures représentant quasi exclusivement des personnages dits anthropomorphiques, potentiellement des chamanes, tenant étrangement du corps des batraciens.
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