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Critique de Nastasia-B


Ah ! Cyrano ! Cyrano ! Je défaille à ton nom, à ta seule évocation, noble Sire, anneau de mes épousailles avec la lyre, avec la fougue, avec l'immatériel. Fasse que jamais ne meure le soucis de la rime en tes accents sublimes ni choir la fière petite plume qui vient couvrir ton chef de son panache blanc...
Il y a quelque chose d'une époque révolue, quelque chose comme on n'en fait plus. Même pour l'époque de Rostand, un je-ne sais-quoi, un parfum 1600, un mélange de Cervantès et de Shakespeare, un mélange de sveltesse et d'élixir.
Des mots qui répugnent à dire leur âge tant ils sont éternels : on les croirait tombés, au hasard, d'un manuscrit perdu, d'une poche oubliée De Beaumarchais ou de je ne sais quel autre de ses devanciers ou de je ne sais quelle muse des temps du beau français.
Et l'on a beau marcher, par avant, par après, rien de comparable ne s'est jamais rejoué.
Cyrano de Bergerac est l'ultime avatar de ces temps où le français était un art, ou dentelle ou brodé, piqué, surpiqué un fil d'or de douze pieds ; un art qu'on plaçait comme un étendard pour dire : " Vous voyez, je suis Français, jugez comme ça sonne, oyez comme ça claironne ce qui sort de mon gosier ! " Et des quatre coins de la Terre on accourait pour l'écouter.
Pas comme désormais où l'on ne jure que par l'anglais, le chinois, l'arabe, le russe ou le javanais.
" Vous parlez français ? Qu'est-ce que ce dialecte malsonnant difficile à apprendre ? Do you speak english ? No, really ? I'm sorry ! Next, please. "
Ah ! le français d'Edmond Rostand, aaaaahhh !, bon sang !, ça vous fait frétiller les coronaires, ça vous fait chanter les artères, ça vous fait swinguer les ulcères !
Que pouvons-nous dire ici-bas de cette pièce culte ?
Drôle à crever, triste à périr ; c'est un saut, c'est un vol, c'est un jet,
Que dis-je, c'est un jet, c'est une catapulte !
Bon allez, rien que pour le plaisir de la redite,
C'est un top, c'est un hit, c'est un feu,
Que dis-je, c'est un feu, c'est une dynamite !
N'aurait-il fait que cela, l'ami Rostand, qu'il pouvait s'arrêter là, une légende était assurée.
J'évoquais plus haut Cervantès et Shakespeare et je souhaite m'en expliquer.
Indéniablement, il y a du Don Quichotte dans Cyrano, une chevalerie d'un autre temps, batailleur pour un rien et surtout si c'est inutile, pour les motifs les plus anodins qui égratignent ou qui heurtent son sens de l'honneur qu'on sait assez sensible à la moindre stimulation.
Le personnage ou le nom même de Don Quichotte est mentionné dans la pièce. (Acte I, Scène 7, Cyrano : J'ai dix coeurs ; j'ai vingt bras ; il ne peut me suffire de pourfendre des nains... Il me faut des géants ! et Acte II, Scène 7, de Guiche : Avez-vous lu Don Quichot ? Cyrano : Je l'ai lu.)
Il y a également dans son amour illimité, irréfléchi pour Roxane une bonne dose de celui de l'hidalgo pour sa Dulcinée du Toboso. Mais au lieu de le rendre grotesque comme son illustre père littéraire, Rostand le rend touchant, pathétique, mélancolique et ajoute au comique le tragique tel que sut le faire Lope de Vega, éveillant en nous un fort élan de compassion et de commisération.
Il y a aussi indubitablement des accents shakespeariens tels que la fameuse scène du balcon de l'acte III, qui évoque sans ambages Roméo et Juliette.
Bon, il va sans dire également que l'auteur emprunte probablement beaucoup, pour son Cyrano, au D'Artagnan d'Alexandre Dumas, pour forger un côté un peu plus pittoresque, mais aussi, peut-être, pour réactiver cette image de mousquetaire vaillant, très présente dans l'imaginaire d'alors. D'ailleurs, Dumas lui aussi comparait son héros à Don Quichotte.
Pourtant, on ne peut pas dire qu'Edmond Rostand n'emprunte également beaucoup aux textes mêmes du véritable Cyrano de Bergerac, je pense notamment à sa pièce le Pédant Joué, auquel on doit l'inspiration du nez (excusez-moi, c'était facile) qui précède en tous lieux d'un quart d'heure son propriétaire.
Rostand intitule sa pièce "comédie héroïque", j'écrirais plus volontiers tragi-comédie car constamment, derrière des bribes de comique, il y a de la douleur, du tragique, des souffrances pudiquement retenues qui évoquent en nous, lecteur ou spectateur, des larmes qui n'ont rien d'un rire. (On se souvient à ce propos que Pierre Corneille trouvait le terme tragi-comédie désuet et qu'il lui préféra, pour désigner ses propres tragi-comédies, une appellation de sa création, à savoir la comédie héroïque. Tout s'explique donc, sauf qu'à cette appellation, je trouve trop peu de résonance en moi ou de fallacieuses tandis que tragi-comédie, n'importe qui perçoit de quoi il s'agit.)
Cette pièce, vous le savez tous est une histoire d'amour, enrobée dans beaucoup d'autres choses, mais une histoire d'amour.
L'amour d'un homme qui porte une plaie béante, énorme, en plein milieu de la figure, comme un pied de nez à ses autres talents, immenses, mais qui lui interdit d'accéder à la félicité, être aimé par celle qu'il voudrait.
Cyrano est vibrant, touchant, de loyauté envers celui qui lui prête sa belle figure pour approcher sa belle cousine. le sens de l'honneur mis au plus haut degré, plus haut que tout, certains diraient, jusqu'à la bêtise, d'autres pensent que non, que c'est ça la grandeur, même si elle est terrifiante...
J'en ai assez dit, je pense, sur celle, cette oeuvre, que tout le monde connaît et que chacun adore ou chérit, à sa façon, en un coin de son coeur.
Non, encore un mot cependant. Ce Cyrano, si laid dehors, si beau dedans, touche à l'inconscient collectif, à la perception que l'on a communément de nous-même, cette impression, lorsque l'on aime, que si l'autre nous connaissait du dedans, il y verrait nos trésors qui palpitent, mais que malheureusement, notre enveloppe charnelle occulte.
Peut-être est-ce là, le vrai secret de Cyrano, de matérialiser, d'être le symbole de cette incompréhension du monde à notre charme et à notre beauté, qui sait ?
Il est des oeuvres nobles et par delà les modes et par delà les siècles, Cyrano de Bergerac, assurément figure parmi celles-là.
Plus rien, à présent, laissez-vous faire et venez croiser le fer avec ce héros au long nez rehaussé d'un plumet qu'on appelle...
... SON PANACHE.

Ah oui, j'oubliais... ceci n'est que mon avis, un amuse-bouche au moins aussi maigre que ceux qui remplissent l'estomac du héros de ce livre, autant dire, pas grand-chose, face à l'immensité, face à l'oeuvre, qui elle est consistante, qui elle nourrit pour des jours, pour des nuits, pour des décennies, ceux qui s'en repaissent goulûment et qui ont bien raison...
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