Pierre se mit a jeter hâtivement de légères petites touches de couleurs, autour desquelles devaient s'harmoniser l'ensemble des plans et des jeux lumineux, complexe écheveau de coloris, d'ombre et de clarté; tout cela jailli pourtant en une seconde d'illumination.
Avait il donc jamais vu auparavant les couleurs? Leur enchantement éclatait dans sa tête sans commander de formes, libres et pures, en elles mêmes un chant de la création. Couleurs, enivrement, long cri profond de l’âme éblouie. Ah que pouvait donc en ce monde si dure signifier les couleurs? Ce mauve tranquille? Ce jaune encore si incertain?
le vieux chercheur d'or, s'il eu pu démêler cette attente sans fin au fond de l’âme que l'on nomme espérance, aurait peut être découvert que son désir le plus vif était de voir l'imprévu une fois encore entrer dans sa vie.
...Pierre s'étonnait de cette nouvelle imprudence qu'il venait de commettre en s'élançant, sans réserve de cartouches ni même de provisions dans ce défilé de montagnes...
Mais le caribou blessé pouvait-il aller bien loin encore...
Pierre enfin le rejoignit. Il avait tiré sa hachette du l'étui pendu à sa ceinture...
L'homme et la bête coururent ensemble, côte à côte, l'oeil dans l'oeil.
« Écoute, frère, dit Pierre, je n'en peux plus...J'ai faim. Laisse-toi mourir.» Mais l'oeil du caribou regardait le bras levé de Pierre, la hachette qui étincelait, et, plein d'un triste reproche, cet oeil semblait dire: «Je suis vieux, je n'en peux plus; pourquoi t'acharnes-tu contre moi?...
Le caribou chancelait à chaque coup, restait debout...Puis la lune éclaira quelques grandes flaques d'eau à la surface du sol...Il pencha la tête. Il commença de boire. De pitié Pierre s'était arrêté...il connaissait, par sa propre soif, la soif intolérable. Puis il se ressaisit, bondit, frappa le cou ployé...
Alors transi de froid, Pierre se laissa glisser près du caribou mort qui commença de le réchauffer. Dans l'étendue sans fin de la toundra, ils formaient une petite tache immobile et comme fraternelle...
...il sondait la nuit si étrange du Nord, palpitante d'étoiles, comme nulle autre au monde prête, semblait-il, à expliquer aux hommes leur propre désir si souvent à eux-mêmes incompréhensibles.
Idée, forme, matière, tout cela n'était qu'un ; la vision même d'une âme, et si claire, si limpide, qu'on y pouvait entrer sans heurt comme dans la vérité.
Tout homme est rare et inimitable par ce que la vie a fait de lui ou lui d'elle.