Notre monde est partagé entre le bien et le mal depuis que l'homme s'est imposé en espèce dominante. Dans la nature, cette notion n'existe pas : il n'y a pas de morale chez les plantes et pas davantage chez les animaux... jusqu'aux primates qui ont développé une conscience d'eux-mêmes. Si c'est un peu simpliste, ce n'est pas loin de la vérité. Alors, comme ces Versets Sataniques oscillent entre le bien et le mal, je resterai dans cette ambivalence.
Tout au long de ma lecture, j'ai eu le sentiment tout à la fois d'aimer et de m'ennuyer aussitôt après. Un peu comme ces éditions bilingues : une page en version originale, l'autre traduite.
Ca foisonne comme dans un film de
Tim Burton, les péripéties s'enchaînent comme dans un roman suédois (ceux de
Jonas Jonasson en particulier), on passe d'une scène à une autre comme dans un rêve. Tout ceci n'est peut-être qu'un songe du reste.
Un des deux personnages principaux se transforme en bouc, on découvre une ville de sable où la moindre goutte d'eau peut lui être fatale, un avion est détourné par des terroristes, un bordel où les filles décident de ressembler aux concubines du harem du sultan, une trompette qui lance des flammes, un nuage de papillons divins et un pèlerinage quasi mystique jusqu'à la mer Rouge qui, selon toute vraisemblance, ne s'ouvrira pas devant les migrants. Et ces deux personnages centraux, l'un star de films théologiques à Bollywood, l'autre voix off pour des publicités et des films d'animation, censés symboliser le bien et le mal.
Dialogue entre mes deux moi :
-
Salman Rushdie sait écrire et possède une culture imposante, ça on ne peut le lui enlever. Mais tout est si embrouillé dans ces versets qu'à moins de se confectionner une fiche de lecture – ou pouvoir avaler les 750 pages d'un seul coup – on est bien souvent laissé sur le côté, dans la marge. Et nous voilà devant en enchaînement de scènes où l'on peine à trouver le lien.
- C'est justement ce qui rend ce livre important, essentiel : une première et simple lecture ne suffira pas à y puiser la quintessence, tout comme une oeuvre de Mozart ou
Van Gogh ne peut se comprendre à la première écoute ou vue. On y découvrira toujours quelque chose de nouveau. On appelle ça le talent, parfois le génie.
- Si le génie consiste à juxtaposer des scènes sans queue ni tête, jetées en pâture au lecteur impuissant, comme si l'auteur ne savait pas lui-même où aller, alors, effectivement, les Versets sont une oeuvre majeure.
- Ecrire, ce n'est que faire la moitié du chemin, le lecteur a sa part à accomplir. Plus le chemin sera semé d'embûches, meilleure en sera la satisfaction d'être arrivé au terme.
- Ma lecture est une récréation, pas un parcours du combattant. S'il faut exécuter le montage des scènes (au cinéma, on dit les rushes), alors autant écrire soi-même.
Reconnais au moins que la plume de
Rushdie est d'une virtuosité magistrale. Sa vision du bien et du mal sort de l'ordinaire. Il réinvente les codes du genre.
- Personnellement, je préfère encore le traitement des comics (Batman, Superman), de Star Wars ou Harry Potter. Là aussi, il y a deux lectures possibles : au-delà des péripéties d'une histoire bien calibrée et exaltante où l'on ne s'ennuie pas une seconde, on laisse filtrer le combat éternel entre ces forces antinomiques.
- C'est un peu basique et sans aucune profondeur.
- C'est sûr, dans les Versets, il faut s'armer d'une pioche et d'une pelle pour atteindre les fondations.
- Je te propose de laisser passer un ou deux ans et d'ouvrir à nouveau ce roman.
- D'accord, rendez-vous dans deux ans.