La guerre m'avait déjà appris l'énigme du destin ; une fraction de seconde nous sépare de la mort. On ne crée pas sa vie : on la reçoit et on la donne.
Je suis un mort qui ne cesse d'enterrer ses morts, car le linceul me paraît trop léger. Je témoigne au nom de ces hommes qui ont emporté avec eux ce qui fut leur raison d'être et qui n'ont pas été compris.
Les paysages nous attirent dans la mesure où ils sont le miroir de notre perception intérieure.
Vous cherchez ce qui est déjà en vous, Hélie. N'attendez pas d'embrasement final, où toutes les pièces du puzzle se mettront soudain en place comme par enchantement. Comme une toile tissée jour après jour, vous êtes la suite de vos actes. Avec vos camarades de déportation, vous avez supporté l'insupportable. Au combat, vous avez avancé sous le feu. Vous avez aimé. La foi, ce n'est rien d'autre : faire confiance, avancer dans la nuit, basculer dans l'instant suivant comme vous sautiez en parachute. Ce sont des choses très concrètes.
La justification et la grandeur du soldat sont d’accepter de payer la guerre et une éventuelle victoire du prix fort, celui de la peur et de la mort.
La fascination que j'éprouve pour la beauté féminine apaise mon regard blessé par la vie.
Le soldat connaît un combat intérieur dont il ne parle pas. Il ya d'abord ces interminables heures d'attente et de transport, l'anxiété, les tripes nouées, ces vagues pensées que l'on remue sur le destin, l'absurdité de la vie, sa fragilité; ces souvenirs que l'on écarte pour ne pas faiblir. Il y a ces lieux inconnus que l'on scrute avec intensité[...]
Et puis l'assaut, dans les clameurs qui donnent du courage...L'action brutale où la peur n'a pas sa place...L'inconscience, la rage, parfois le corps à corps, les gestes seconds, la lucidité du médium, la violence qui se libère en soi, les flammes qui sortent des armes et fendent l'air...
Les minutes s'impriment dans la mémoire comme dans la cire. Après, le film se déroule encore et encore. Le soldat a le cerveau d'un accidenté de la route, qui vient de quitter l'asphalte et qui, de tonneau en tonneau, revoit des images en accéléré.
Les mains des camarades qui se lèvent, les regards muets, les rires, les hurlements, les mots crus et simples des hommes après le danger...Et puis ces soirs désolés où l'on compte les morts. Ravaler ses larmes, enfouir sa tête dans ses mains, serrer les poings. Et de nouveau attendre...
La mort est une réalité intrinsèque à la condition humaine. Depuis la première minute de notre existence, elle est aussi présente, palpable et indispensable que l'air que nous respirons. Des nourrissons de trois jours s'éteignent dans un souffle. Leur vie enferme la même énigme que celle d'un vieil homme qui part, entourés des siens. Depuis Buchenwald, j'ai connu beaucoup de jeunes vies fauchées par la guerre. Le mystère de leur passage m'habite toujours.
En raisonnant à la vitesse de la lumière, nos enfants gagnent une souplesse d'esprit remarquable. Mais ils perdent en même temps le sens de l'épaisseur des choses.
C'est la dernière responsabilité qui nous incombe : éviter que nos enfants aient un jour les dents gâtées par les raisins verts de l'oubli. Écrire et raconter, inlassablement, non pour juger mais pour expliquer. Ouvrir la porte à ceux qui cherchent une trace du passé et qui refusent le silence, repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs...