Ce récit très court, est paru en 1850. C'est un des premiers écrits "champêtres" de l'auteur. Pour écrire son roman,
George Sand précise dans l'avant-propos qu'elle s'est inspirée d'une histoire entendue lors d'une veillée paysanne. Elle défend aussi le terme de "champi" : "Le dictionnaire le déclare vieux, mais
Montaigne l'emploie, et je ne prétends pas être plus Français que les grands écrivains qui font la langue. Je n'intitulerai donc pas mon conte François l'Enfant-Trouvé, François le Bâtard, mais
François le Champi, c'est-à-dire l'enfant abandonné dans les champs, comme on disait autrefois dans le monde, et comme on dit encore aujourd'hui chez nous"
En effet les champis sont des enfants abandonnés dans un champ. Sort bien pis encore que ceux confiés aux tours d'abandon. En grandissant sans repère et sans tendresse, les champis deviennent souvent de mauvais bougres. Dans cette moitié du XIXᵉ siècle, ils n'inspirent que méfiance et dégoût aux paysans car, ces enfants sont, soit issus d'une relation "coupable", entendez : hors des "liens sacrés du mariage" ("quel dommage qu'un si beau gars soit un champi. Il a moyen d'être beau, c'est l'amour qui la mis au monde") soit une famille crevant de misère ("Est-ce que c'est mal d'être champi ? Mais non, mon enfant, puisque ce n'est pas ta faute. Et à qui est-ce la faute ? C'est la faute aux riches. La faute aux riches, comment donc ça ? Tu m'en demandes bien long aujourd'hui ; je te dirai ça plus tard. Non, non, tout de suite, madame Blanchet. Je ne peux pas t'expliquer... D'abord sais-tu toi-même ce que c'est que d'être champi ? Oui, c'est d'avoir été mis à l'hospice par ses père et mères, parce qu'ils n'avaient pas le moyen pour vous nourrir et vous élever. C'est ça. Tu vois donc bien que s'il y a des gens assez malheureux pour ne pouvoir pas élever leurs enfants eux-mêmes, c'est la faute aux riches qui ne les assistent pas".)
François est recueilli par Zabelle une pauvresse à qui l'hospice donne quelques subsides. ("La Zabelle, qui se nommait en effet Isabelle Bigot, était une vieille fille de cinquante ans, aussi bonne qu'on peut l'être pour les autres quand on n'a rien à soi et qu'il faut toujours trembler pour sa pauvre vie") et bientôt protégé par Madeleine Blanchet la meunière. Celle-ci, est une jolie jeune femme qui s'est laissée marier à 16 ans et qui voit sa jeunesse s'enfuir, entre une belle-mère pingre et acariâtre et "un mari rougeot qui n'était pas tendre". Cependant, toute fragile et soumise qu'elle semble être, Madeleine est dotée d'une volonté implacable quand il s'agit de faire le bien. Elle va s'opposer de toutes ses forces au renvoi de François, pris en grippe par le meunier et sa mère.
Fort à propos, la belle-mère passe ad patres, François peut ainsi rester auprès de sa bienfaitrice sans lui causer de tracas. Il grandit en beauté et en sagesse, dur à la peine, ne réclamant jamais rien, vouant un amour inconditionnel et candide à celle qu'il appelle sa mère. Même Cadet- Blanchet n'en prend plus ombrage. le secret de sa complaisance est qu'il passe le plus clair de ton temps à boire et dépenser l'argent du ménage en compagnie de "la Sévère".
La Sévère ("Cette femme-là s'appelait Sévère, et son nom n'était pas bien ajusté sur elle car elle n'avait rien de pareil dans son idée".) trouve François à son goût car, il est très joli garçon, lui fait des avances qu'il repousse maladroitement. Vexée, elle distille méchamment au meunier, des propos calomnieux au sujet de Madeleine et François. Devant la colère de son mari, pourtant pleutre, qui menace de tuer le Champi, et pour faire cesser les commérages, Madeleine se résout à se séparer de François, le seul être qui lui ait montré un peu d'amitié. ("Mon enfant, ne me demande pas la raison de son idée contre toi ; je ne peux pas te la dire. J'en aurais trop de honte pour lui, et mieux vaut pour nous tous que tu n'essaies pas de te l'imaginer. Ce que je peux t'affirmer, c'est que c'est remplir ton devoir envers moi que de t'en aller. Te voilà grand et fort, tu peux te passer de moi ; et mêmement tu gagneras mieux ta vie ailleurs puisque tu ne veux rien recevoir de moi. Tous les enfants quittent leur mère pour aller travailler, et beaucoup s'en vont au loin. Tu feras donc comme les autres, et moi j'aurai du chagrin comme en ont toutes les mères, je pleurerai, je penserai à toi, je prierai Dieu matin et soir pour qu'il te préserve du mal")
La mort dans l'âme, désespéré, François se rend à ses raisons. ("Allons, dit-il en essuyant ses yeux moites, je partirai de grand matin, et je vous dis adieu ici, ma mère Madeleine ! Adieu pour la vie, peut-être ;car vous ne me dites point si je ne pourrai jamais vous revoir et causer avec vous. Si vous pensez que ce bonheur-là ne doive plus m'arriver, ne m'en dites rien car je perdrais le courage de vivre. Laissez-moi garder l'espérance de vous retrouver un jour ici, à cette claire fontaine où je vous ai trouvée pour la première fois il y aura tantôt onze ans. Depuis ce jour jusqu'à celui d'aujourd'hui, je n'ai eu que du contentement")
George Sand développe ici ses thèmes favoris : la morale, la défense des enfants déshérités, la condition des femmes, la loyauté, la compassion, la reconnaissance, le travail malgré la rudesse de la vie paysanne, l'amour enfin, naïf et admirable.
L'écriture est fine et alerte, émaillée de mots de patois dont on n'a pas de peine à saisir la signification. Poétique aussi, teintée d'un charme délicieusement désuet. Beaucoup moins connu que "
La mare au diable" ou "
la petite fadette",
François le Champi est un conte émouvant et merveilleux qui enchantera encore bien des générations. Ne nous y trompons pas, sous des dehors ingénus, les écrits de Sand ne sont jamais bénins. Ils délivrent un message d'espérance d'égalité et, celui d'un monde moins cruel.