Mes mœurs n'ont rien d'antique, j'aime mieux enlever les robes que les porter.
Les hommes et les femmes se rencontreront-ils un jour ? Ce que la femme désire, est-ce que l’homme le désire ? Et ce que l’un attend de l’autre, est-ce bien ce que l’autre veut donner ?
« DIDEROT: Le libertinage est la faculté de dissocier le sexe et l’amour, le couple et l’accouplement, bref, le libertinage relève simplement du sens de la nuance et de l’exactitude. » (p.50)
Diderot : Tu es comme tous les jeunes gens : tu attends le grand amour et la vraie philosophie. Au singulier. Rien qu'au singulier. C'est cela le travers de la jeunesse : le singulier. Vous croyez qu'il n'y aura qu'une femme et qu'une morale. Ah, la passion des idées simples, comme elle peut nous faire du mal, à tous ! Un jour, mon petit Baronnet, tu vas te forcer à n'aimer qu'une jeune fille, à ne vivre que pour elle, que par elle, même quand elle ne sera plus elle et que tu ne seras plus toi : vous vous serez enfoncés dans le premier des malentendus, un malentendu terrible, le malentendu du grand amour ! Et puis, parce que tu as la tête trop vive, tu veux déjà t'amouracher aussi de la philosophie, l'unique philosophie qui te donnera toutes les réponses : deuxième malentendu. Mais il n'y a pas qu'une femme ni qu'une philosophie. Et si tu es bien constitué, tu devras papillonner. Comment décider de l'indécidable ? Transformer ses hypothèses en certitudes, quelle prétention ! Lâcher toutes les idées pour une ! Le fanatisme n'a pas d'autre origine. Sois léger, mon petit Baronnet. Abandonne ton esprit à son libertinage. Endors-toi avec celle-ci, réveille-toi avec celle-là - je parle des idées -, quitte celle-ci pour une autre, attaque-les toutes, ne t'attache à aucune. Les pensées sont des femmes, Baronnet, on les renifle, on les suit, on s'en grise et puis, brusquement, le désir bifurque et l'on va voir ailleurs. C'est une fille de passage, la philosophie, ne la prends surtout pas pour ton grand amour.
MME DIDEROT. Je viens de te le dire. Je ne supporte plus que tu couche avec tout ce qui porte un jupons.
DIDEROT. (de bonne foi). Oui mais enfin, pourquoi spécialement aujourd'hui? Cela fait des années que ça dure....
MME DIDEROT. Ah, je ne sais pas, c'est comme ça! Ce matin, je me suis levée et je me suis dit : ça suffit, h'en ai assez de porter des cornes.
DIDEROT (simplement). Mais Antoinette.... c'est un peu tard.
MME DIDEROT. Comment?
DIDEROT. Eh bien, oui, cela va faire vingt ans que je vagabonde et tu arrives là, tout à trac, et tu nous ponds un fromage.
MME THERBOUCHE (reprenant son croquis). Ne dites pas de sottises : Socrate était laid. (Un temps) On m'a dit qu'il avait le petit défaut... enfin... qu'il regardait les hommes... bref, qu'il était perdu pour les dames !
DIDEROT. Moi, ce sont les femmes qui me perdent. Mes mœurs n'ont rien d'antique, j'aime mieux enlever les robes que les porter.
(Diderot) Parfois, j'aimerais ne pas être moi, mais Rousseau, Helvétius ou Voltaire, une tête dure de ce genre, avec des idées bien cadrées bien arrêtées, des idées qu'on enferme dans des formules, puis dans des livres, des idées qui restent, qui s'accrochent, qui se coulent dans le bronze... Moi je change d'avis lorsqu'une femme entre, je suis capable de passer de la gavotte au menuet en plein milieu du morceau, les idées me frôlent et me bousculent, rien ne reste. Je me réveille pour, je m'endors contre.
Tu es comme tous les jeunes gens, tu attends le grand amour et la vraie philosophie. Au singulier. Rien qu'au singulier. C'est cela le travers de la jeunesse : le singulier.
Quel homme possède jamais une femme ?
Quel homme possède jamais la vérité ?
Ne te fie à personne, jamais, pas même à toi.