Quel « intérêt » y-a-t-il pour une société d'établir une classification raciste officielle comme fondement de la citoyenneté ?
Quel intérêt y a t il à faire opposer les groupes humains sur les bases de « faits de nature » ( couleurs de peau, sexe, ethnie, etc.. - ) si ce n'est pour dynamiter systématiquement toute notion de classe, ceci afin d'établir, d'asseoir la suprématie d'un pouvoir financier, économique, politique ? Quel intérêt y a t il à faire fructifier cette opposition en l'envenimant par le moyen d'arguments religieux, culturels, voir « civilisationnels » ?
Livre étonnant que ce «
Black no more » de
George S. Schuyler. Écrit en 1931. D'une surprenante lucidité. Beaucoup est dit. Décrit. C'est toute la mécanique sociale américaine qui est ici analysée. La plume est rapide, satirique, caustique. Personne n'en réchappe. Chaque hypocrisie est démasquée.
Le parcourt de S. Schuyler est étonnant. Atypique. Ex homme de gauche, journaliste, essayiste, romancier, noir américain, né en Alabama, il deviendra républicain ( ce qui est une évidence en lisant ce livre, et qui d'ailleurs peut, en ce 18e anniversaire de notre siècle nous irriter souvent à la lecture de certain passage ...) , il soutiendra Nixon, deviendra anti communiste...Presque incompréhensible pour nous aujourd'hui. Et pourtant on peu comprendre certain destin si on les replace dans la grande mécanique du temps. J'écris : comprendre et non : acquiescer.
Georges S. Schuyler était conservateur et connaissait extrêmement bien le territoire américain et ses différentes populations.
Mais... était-ce concevable d'être conservateur en cette Amérique de 1931 ?
Est ce concevable qu'il ait pu critiquer, trente ans plus tard, l'action et l'oeuvre de
Martin Luther King ?
Le monde est multiple, divers courants le traversent. L'hydrographie de la pensée mondiale est complexe. Mais on peut et on doit en faire la lecture.
1931..deux ans après la grande crise de 1929….
1931. L'Amérique prêche l'eugénisme raciale.
Charles Lindbergh , « héros national » , Henri Ford, « fleuron de économie américaine », en seront les tristes pasteurs. Il est établi qu'Hitler, et y puisera beaucoup de ses poisons.
1931.Paris accueille l'exposition coloniale internationale et le Cirque Carl Hagenbeck avec ses répugnantes représentations ethnologiques.
1931, les États Unis et l'Europe nourrissent allègrement les monstres qui détruiront, en quelques années la vie de plusieurs millions d'êtres humains.
1931, Sosso le fou, alias
Josef Staline, déploie sa sanglante dictature faisant lui même des millions de victimes.
1931, la folie du monde s'emballe.
Black no more est devenu un classique de la littérature américaine. Par ses positions
George S. Schuyler ne s'est pas fait que des amis dans certains groupes de la société afro-américaine en dénonçant par exemple les dérives du mouvement Back-to-Africa, qu'il jugeait dangereux, extrémiste.
En replaçant le parcours de Schuyler dans le courant de l'Histoire des années 30, et au regard de sa vie personnelle, Schuyler défendait le métissage, seul moyen d'en finir avec l'absurdité de toute classification raciale.
Ce n'est pas un hasard si sa propre fille, fruit d'un mariage mixte, enfant surdouée, pianiste virtuose s'engagea durant la guerre du Vietnam, en qualité de correspondante de guerre, guerre qu'elle dénonçait et à laquelle elle s'opposa et qui trouva, malheureusement la mort dans le crash d'un hélicoptère en tentant de sauver des enfants vietnamiens.
Ce père, conservateur républicain, n'avait pas tord de penser que l'avenir le plus raisonnable pour les USA devait passer par le métissage de sa population.
Sa fille en est la plus parfaite illustration.
Intimement convaincu que seul le métissage pouvait faire avancer les USA vers la voie du progrès économique, social, et était seul capable de maintenir une réelle paix sociale. Une utopie?
Il dénonce dans
black no more tous les faux bergers, qu'ils soient blancs ou noirs, qu'ils soient politiques ou religieux.
Il dénonce tous ceux qui ont intérêt à ce qu'une division “raciale” soit maintenue dans la société américaine. Ils décrit l'abrutissement des classes les plus pauvres orchestré par le pouvoir économique et politique, les poussant à préférer rejoindre des groupuscules racistes et fascisant plutôt que de les laisser organiser eux-mêmes des syndicats de travailleurs.
Et pourtant ceci est écrit par un homme dont les choix politiques peuvent nous surprendre.
Le livre de Gorge S. Schuyler, aux Éditions Wombat, reparaît en ce moins de juin dans la collection de poche 10.18. Et ce n'est pas un hasard. Il est saisissant d'actualité.
Parce que ce livre est à la fois impertinent et pertinent, parce qu'il est atypique, intéressant.
Une satire dénonçant toutes les formes de racisme.
Un outil de réflexion, une pièce historique. Une des voix innombrables des USA.
Astrid Shriqui Garain