L'entreprise malade de ses actionnaires.
Sous un titre peu alléchant et sentant l'académisme :
Refonder l'Entreprise,
Blanche Segrestin et
Armand Hatchuel remettent en cause la gestion des entreprises en ce début de XXIème siècle. En 123 pages relativement denses, parfois ardues et nécessitant souvent une relecture, ils essaient d'expliquer la faillite du système capitaliste tel qu'il (dys)fonctionne actuellement par la prise du pouvoir des actionnaires au dépens des gestionnaires, de ceux qui apportent les capitaux sur ceux qui sont chargés de les faire fructifier. Pour bien comprendre cette mutation, ils définissent d'emblée la notion relativement récente d'entreprise (un siècle environ) et l'opposent à la notion juridique parfaitement circonscrite de Société Anonyme. Ce qui les amène à insister sur le fait que
l'entreprise n'existe pas du point de vue du droit, c'est un « impensé juridique ». Ainsi, dans nos sociétés où le droit conditionne le juste, les dirigeants d'entreprise sont de plus en plus soumis aux volontés des actionnaires s'identifiant aux propriétaires. Ce basculement se produit au début des années 1980 favorisé par la « corporate governance », les politiques managériales aboutissant à une gestion à court terme très spéculative au détriment de stratégies à long terme favorisant les entrepreneurs, les salariés, les fournisseurs, l'environnement social et l'écologie. Les auteurs préconisent donc de donner à
l'entreprise une sorte de statut juridique propre permettant aux dirigeants d'acquérir une certaine autonomie par rapport à leur conseil d'administration et de sortir de cette construction purement économique que représente le modèle de
l'entreprise aujourd'hui.
Refonder l'Entreprise me semble représenter un bon ouvrage de vulgarisation, à la fois exigeante et ne cédant jamais à la facilité ou à l'approximation. N'étant pas du tout un spécialiste de ce genre de problématique, ce livre m'a permis de comprendre ou du moins d'appréhender de nombreux problèmes liés au fonctionnement des entreprises, de dissiper certaines confusions entre entreprises et société anonyme, entre dirigeant et président du conseil d'administration et de voir plus clair dans la répartition des pouvoirs dans
l'entreprise. Cependant, les solutions proposées me semblent entachées d'une certaine utopie trop liée au bon vouloir des donneurs d'ordre et j'ai du mal à comprendre quel investisseur serait prêt à céder une partie de son pouvoir pour autoriser un dirigeant à prendre des risques pour des objectifs à long terme, qui peuvent paraître aujourd'hui « raisonnables » mais qui le seront peut-être moins dans 6 mois ou un an ? A la fin de la lecture de ce livre, on demeure avec l'impression que si le diagnostic de Segrestin et Hatchuel est pertinent (et relativement peu original), les solutions envisagées (société à objet social étendu, entreprise à progrès collectif) ne se situent pas à la hauteur de l'ampleur des défis. On ne peut s'empêcher d'y voir une réflexion bien dans l'air du temps où le bon dirigeant et le bon collectif qui l'entoure et le soutient vont montrer la voie à ces sinistres actionnaires guidés par le seul appât du gain. Malgré cette restriction,
Refonder l'Entreprise me semble valoir principalement par sa façon d'aborder les réels problèmes de la reconnaissance des rôles de
l'entreprise par l'innovation, la création collective et le progrès social.
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