Citations sur 961 heures à Beyrouth (et 321 plats qui les accompagnent) (12)
Certains parfums arrivent en douce, d’autres accourent vers vous. Le tabbouleh est un plat d’explosions. À chaque bouchée, vous écrasez des cellules et des fibres d’herbes, et ce qui surgit, ce sont des éclats, non d’épices, mais de la vie des plantes. Ce plat national peut être qualifié de petite bombe de vie explosive.
Ce qui ne cesse de me surprendre et de me faire peur, sans doute la seule peur que je ressente ici, c'est la route. Tout le monde conduit n'importe comment. C'est comme si cette intensité de la vie dont parlent les Libanais apparaissait sous un mauvais angle : leur façon de conduire est presque suicidaire. Comme je n'arrête pas de crier chaque fois qu'une voiture frôle la nôtre, on ne me laisse plus monter devant.
Le passé n'appartient à personne, mais les souvenirs appartiennent à tout un chacun, et on les préserve en qualité de souvenirs familiaux, même s'ils sont différents pour chacun.
Sois poésie et continue à l'être, ma Beyrouth.
Il y a dans ce geste quelque chose du travail du potier, lors du modelage d’un bol, plaçant la main à l’intérieur de la cavité et faisant tourner l’argile. Un doigt s’insère, façonnant un creux qui sera l’abri de la farce.
Le creux est évidemment destiné à être farci, mais parfois, on le laisse tel quel et on referme la boulette avec un vide à l’intérieur. Et ainsi, les kebbeh nous sont servis avec ce vide en eux comme une énigme, sans plus d’explications.
« Quelle doit être l’odeur d’une brasserie ? Je connais l’odeur d’une distillerie de whisky, car il y avait une distillerie Nikka à une dizaine de minutes en voiture de chez mes parents, et nous passions souvent à côté lorsque j’étais jeune. Je connais l’odeur d’une brasserie de saké, celle d’une brasserie de xérès, mais je crois ne jamais avoir senti l’odeur d’une brasserie de bière.
Quelle odeur colorait ce quartier de Mar Mikhael ? »
« Lorsqu’on parle d’un plat, il est immanquablement question du goût. Si l’on compare un ingrédient à un mot, le goût pour un ingrédient serait l’équivalent des significations pour un mot. Mais à Beyrouth, plus qu’une « cuisine du goût », c’est une « cuisine du parfum » que je déguste tous les jours. Le parfum pour un ingrédient, est-il l’équivalent de la sonorité pour un mot ? La comparaison peut paraître trop simpliste, mais de même que la question de la sonorité se révèle plus importante dans la poésie, de même le parfum acquiert dans cette cuisine un rôle décisif. Il s’agit d’une cuisine chantante. »
« L’acte de manger s’accomplit par étapes : humer les odeurs, regarder le plat, écouter les frémissements de la cuisson, ou le couteau qui tranche, tâter de la main ou de la fourchette, mettre un morceau à la bouche, chaque chose en son temps, chaque sensation en léger différé d’avec les autres. »
« Chaque ville a sa lumière et ses pénombres à elle. J’ai été surprise par la clarté du ciel nocturne de Rome, alors que la ville n’est pas plus éclairée que Paris. Quant à Beyrouth, elle se distingue, il me semble, par la qualité de son crépuscule. »
« Que peut bien apporter la cuisine à la littérature, ou plutôt, s’il faut rester transgressive, que peut apporter la littérature à ce qui nous nourrit ? »