Cet ouvrage d'
Andrea Semprini qui date un peu (une trentaine d'années déjà !) a pour objectif principal de montrer en quoi la chaîne télévisée CNN a révolutionné la manière dont l'information était diffusée, de souligner que loin de créer une information « mondialisée » à destination d'une audience homogène, cette dernière n'est finalement que le relai caché d'un modèle américain libéral.
Egrenant les précédentes études sur les médias et leur impact sur la société, l'auteur convoque
Jürgen Habermas,
Charles Taylor,
Marshall McLuhan,
Dominique Wolton…et j'en passe, à la fois pour expliciter leurs théories et apporter son point de vue complémentaire. Un essai pas exempt de théorie donc, parfois un peu rébarbative.
Dans cette analyse de CNN, on découvre comment la chaîne, à la différence de ses compétiteurs, a fait de l'information le contenu principal de l'antenne, réduisant la part traditionnellement réservée aux émissions de tout genre et pré-enregistrées. Information en direct, en continu et à destination planétaire sont donc la recette de CNN.
Mais cette triade n'est pas sans impact sociologique sur l'audience (compression du temps, effet d'irréalité, effet de capture du réel), ni sans impact sur la production journalistique (prédominance de l'évènement et des images sur le contexte et l'interprétation, nécessité de produire toujours plus d'évènement, quitte à accorder de l'intérêt à des sujets triviaux ou à faire du journaliste un acteur et non plus un témoin d'un évènement).
La comparaison entre
France Info, le Courrier international et CNN est intéressante :
Andréa Semprini détaille l'entreprise atypique du deuxième, qui se veut une compilation d'articles du monde entier, écrits à destination d'une audience bien spécifique et par des journalistes de tout bord, traduite en français et proposée à un lectorat francophone sans mise en contexte. Lorsque CNN est accusée de faible couverture de certains pays (il ne s'y passerait rien d'intéressant, askip), la chaîne finit par lancer une émission, « World Report », qui reprend le même schéma que le Courrier international : proposer du contenu réalisé par d'autres équipes…Sauf que ces dernières créent ces émissions pour être diffusées sur CNN, et en adaptent donc le contenu, rapidement limité à un axe socio-culturel et localisé.
Notant la part importante du contenu de CNN dédié à ce qu'il appelle « l'auto-référencement » (10% du contenu de la chaîne consiste en des bandes annonces pour son propre contenu), l'auteur se livre à une analyse de ces mini trailers et en déduit les valeurs véhiculées par la chaîne : centrée autour de l'individu, de l'émotion, de l'authenticité, du progrès, du « politically correct », et de l'international…Des valeurs tout adaptées pour une audience masculine, hommes d'affaires anglophones, apparentée à une « élite internationale » qui devrait convertir le monde à ses riches idées.
La thèse finale d'
Andréa Semprini est donc que CNN ne produit pas de l'actualité au sens informationnel du terme, mais comme une nouvelle narration au service d'un hégémonisme culturel visant à généraliser un modèle où la mondialisation est louée. Pas d'information, mais de l'imaginaire, une mission idéologique.
Une lecture pas forcément aisée, malgré ses 200 petites pages : le contenu est très académique, analytique, présente de nombreuses notions, est découpé en parties, sous-parties et démonstrations pas toujours digeste. Les répétitions sont également nombreuses (mais les conclusions de chaque chapitre appréciable !), et bien sûr, l'ancienneté du bouquin se ressent (parler de télévision et pas de youtube ou de twitter dans un tel contexte paraît un peu dépassé pour le lecteur d'aujourd'hui).
Le propos général et la dialectique entre médias, mondialisation, information et impact sociologique reste très intéressant et particulièrement transposable aux réseaux sociaux.
L'actualité tisse aussi des liens avec cet « ancien » monde des médias : est-ce un hasard si la première journaliste à avoir pu pénétrer dans Gaza est américaine et travaille pour le compte de CNN ? Je vous laisse juge !