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Citations sur Le Mort qu'il faut (34)

Je jette toujours un coup d'œil sur les bibliothèques des gens chez qui je suis invité. Il me semble que je suis parfois trop cavalier, trop insistant ou inquisiteur...
Mais les bibliothèques sont passionnantes, parce que révélatrices. L'absence de bibliothèques aussi, l'absence de livres dans un lieu de vie, qui en devient mortel.
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[ Sur Semprun, rescapé de Buchenwald]
- On peut dire que t'en as, de la chance, toi!
C'est une phrase que l'on m'a souvent dite, au long de ces années. Une constatation que l'on a souvent faite. Sur tous les tons, y compris celui de l'animosité. Ou de la méfiance, du soupçon. Je devrais me sentir coupable d'avoir eu de la chance, celle de survivre, en particulier. Mais je ne suis pas doué pour ce sentiment-là, si rentable pourtant, littérairement.
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C’était une langue étrangère, quelques mots brefs. C’est après seulement que j’ai compris qu’il avait parlé en latin: il avait dit deux fois le mot nihil, j’en étais certain.
Il avait parlé très vite, d’une voix très faible : à part ce « rien » ou ce « néant » répété, je n’avais pu saisir le sens de ses dernières paroles.
Aussitôt après, en effet, son corps s’était raidi définitivement.

Le mystère des derniers mots de François L. s’était perpétué. Ni dans Horace ni dans Virgile, dont je savais qu’il se récitait des poèmes, comme je me récitais moi-même Baudelaire ou Rimbaud, je n’avais jamais retrouvé un vers où le mot nihil, rien, néant, se répétât.
...
Un jour, après avoir mis au point ma version de la scène cruciale entre Pyrrhus, fils d’Achille, et Agamemnon, je m’attaquai a‘ un long passage du chœur des Troyennes. Traduisant le texte latin que j’avais sous les yeux, je venais d’écrire en espagnol: «Tras la muerte no hay nada y la muerte no es nada...»
Soudain, sans doute parce que la répétition du mot nada avait confusément réveillé un souvenir enfoui, non identifié, mais chargé d’angoisse, je revins au texte latin: «Post mortem nihil est ipsaque mors nihil...»
Ainsi, plus d’un demi-siècle après la mort de François L., à Buchenwald, le hasard d’un travail littéraire me faisait retrouver ses derniers mots: « Il n’y a rien après la mort, la mort elle-même n’est rien.» Je n’eus aucun doute : c’étaient bien les derniers mots de Francois !
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S'il y a une morale, ici, ce n'est pas celle de la pitié, de la compassion, moins que jamais une morale individuelle. C'est celle de la solidarité. Une solidarité de la résistance, bien sûr : une morale de résistance collective. (p.173)
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Quelque temps après mon installation dans le châlit, François a ouvert les yeux soudain, dans un soubresaut.
Nos visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre. Il m'a aussitôt reconnu.
- Non, pas toi, a t-il dit d'une voix presque inaudible.
Non, pas moi, François, je ne vais pas mourir. Pas cette nuit, en tout cas, je te le promets. Je vais survivre à cette nuit, je vais essayer de survivre à beaucoup d'autres nuits, pour me souvenir.
Sans doute, et je te demande pardon d'avance, il m'arrivera d'oublier. Je ne pourrai pas vivre tout le temps dans cette mémoire, François: tu sais bien que c'est une mémoire mortifère. Mais je reviendrai à ce souvenir, comme on revient à la vie. Paradoxalement, du moins à première vue, à courte vue, je reviendrai à ce souvenir, délibérément, aux moments où il me faudra reprendre pied, remettre en question le monde, et moi-même dans le monde, repartir, relancer l'envie de vivre épuisée par l'opaque insignifiance de la vie. Je reviendrai à ce souvenir de la maison des morts, du mouroir de Buchenwald, pour retrouver le goût de la vie.
Je vais essayer de survivre pour me souvenir de toi.....
....Dans cette salle des pas perdus de la mort, les râles, les gémissements, les frêles cris d'effroi s'étaient tus, s'étaient éteints, les uns après les autres. Il n'y avait plus que ces cadavres autour de moi: de la viande pour crématoire.
Dans un soubresaut de tout son corps, François avait ouvert les yeux, il avait parlé.
C'était une langue étrangère, quelques mots brefs. C'est après seulement que j'ai compris qu'il avait parlé en latin: il avait dit deux fois le mot nihil, j'en étais certain.
Il avait parlé très vite, d'une voix très faible: à part ce "rien" ou ce "néant" répété, je n'avais pu saisir le sens de ses dernières paroles.
Aussitôt après, en effet, son corps s'était raidi définitivement.
Le mystère des derniers mots de François L. s'était perpétué. Ni dans Horace, ni dans Virgile, dont je savais qu'il se récitait des poèmes, comme je me récitais moi même Baudelaire ou Rimbaud, je n'avais jamais retrouvé un vers où le mot nihil, rien, néant, se répétât.
Des décennies plus tard, plus d'un demi siècle après la nuit de décembre où François L. était mort à côté de moi, dans un dernier soubresaut, en proférant quelques mots que je n'avais pas compris, mais dont j'avais la certitude qu'ils étaient latins à cause de la répétition du mot nihil, je travaillais à une adaptation des Troyennes de Sénèque.
C'était une nouvelle version en espagnol que j'étais chargé d'écrire, pour le Centre andalou du Théâtre. Le metteur en scène qui m'avait propsé de participer à cette aventure était un Français, Daniel Benoin, directeur de la Comédie de Saint-Etienne.
.....Un jour, après avoir mis au point ma version de la scène cruciale entre Pyrrhus, fils d'Achille et Agamemnon, je m'attaquai à un long passage du choeur des Troyennes.
Traduisant le texte latin que j'avais sous les yeux, je venais d'écrire en expagnol: " tras la muerte no hay nada y la muerte no es nada."
Soudain, sans doute parce que la répétition du mot nada avait confusément réveillé un souvenir enfoui, non identifié, mais chargé d'angoisse, je revins au texte latin:
" Post mortem nihil est ipsaque mors nihil"
Ains, plus d'un demi siècle après la mort de François L. à Buchenwald, le hasard d'un travail littéraire me faisait retrouver ses derniers mots: "Il n'y a rien après la mort, la mort elle même n'est rien."
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Je revenais de Buchenwald. J’avais juste eu le temps de voir tomber la neige, en bourrasque soudaine, sur les drapeaux du défilé ouvrier du 1er Mai. juste le temps de constater à quel point la vraie Vie était étrange, à quel point il serait difficile de m’y réhabituer. Ou de la réinventer.
Pourquoi s’est—on perdus de vue? se demandait, me demandait Jacqueline B. C’est vrai, on s’était perdus de vue. On avait même failli se perdre de Vie. C’était simple à expliquer, cependant.
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On a le droit de faire sursauter un lecteur, de le prendre à rebrousse-poil, de le provoquer à réfléchir ou à réagir au plus profond de lui-même: on peut aussi le laisser de glace, bien sûr, lui passer à côté, le manquer ou lui manquer. Mais il ne faut jamais le dérouter, on n'en a pas le droit : il ne faut jamais, en effet, qu'il ne sache plus où il en est, sur quelle route, même s'il ignore où cette route le conduit. (p.99)
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Une année à Buchenwald m'avait appris concrètement ce que Kant enseigne, que le Mal n'est pas l'inhumain, mais, bien au contraire, une expression radicale de l'humaine liberté.
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C'est au regard qu'on s'aperçoit du changement soudain, de la fêlure, lorsque la détresse atteint un point de non-retour. Au regard subitement éteint, atone, indifférent. Lorsque le regard n'est plus la preuve, même douloureuse, angoissée d'une présence; lorsqu'il n'est plus qu'un signe d'absence à soi-même et au monde. Alors, on comprend, en effet, que l'homme est en train de lâcher prise, de lâcher pied, comme si ça n'avait plus de sens de s'obstiner à vivre; alors, on saisit dans l'absence à quoi se résume le regard qu'on avait peut-être connu vif, curieux, indigné, rieur, on comprend que l'homme, inconnu, anonyme, ou un camarade dont on sait l'histoire personnelle, est en train de succomber au vertige du néant, à la fascination médusante de la Gorgone.
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A quoi bon écrire des livres si on n'invente pas la vérité? Ou, encore mieux, la vraisemblance? (p.188)
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