Citations sur Klezmer, tome 5 : Kishinev-des-fous (10)
[ Joann Sfar à la fin du volume ]
[Mes personnages] ne sont pas en Israël, car ça n'est pas mon histoire. J'aime Israël car une partie de ma famille vit là-bas. Mais ça n'est pas mon pays. Mes ancêtres ne viennent pas de Palestine. Je veux dire, ça fait plus de deux mille ans que mes ancêtres viennent d'Algérie, d'Ukraine, et avant ça, sans doute, tous venaient d'Espagne, mais sans doute aucun d'eux n'a jamais mis un pied en Palestine depuis la destruction du Temple de Salomon.
Mon pays, c'est la France. Le territoire où je me sen légitime, c'est l'Europe. Et klezmer. Et tous mes livres ne racontent rien d'autre : les Juifs qui ont eu le courage de rester en Europe ont fait un choix noble et digne.
J'écris pour rendre raison aux Juifs d'Europe. Ils avaient raison. Et beaucoup en sont morts.
- Votre cargaison ?
- Des youpins.
- Rrr...
- Je vous assure ça vaut rien.
- Fais-les descendre qu'on les coupe en morceaux.
- Non. C'est les miens.
Tuez-moi, ça ira plus vite.
Contre vingt siècles de propagande d'Eglise, je ne peux rien faire.
- Vous étiez donc prêt à ça pour survivre ? Leur raconter...
- Ce qu'ils rêvaient d'entendre. (...) Ils veulent nous haïr. C'est leur seul espoir. Ainsi, ils se font croire qu'il existe quelqu'un plus bas que leur bassesse. Ainsi, lorsqu'ils ont du malheur, ont-ils la satisfaction de dire "c'est la faute aux sales juifs". Alors si on suit votre solution, témoigner, parler avec pédagogie et espoir, ils vont tous nous exterminer. Même eux ça leur fera du chagrin. Plus de juifs sur qui fantasmer ! Qu'est-ce qui va leur rester, pour mettre leur haine ? Se battre entre eux ? (...) Croyez-moi, la seule solution, c'est de leur faire plaisir : je leur dis du mal de moi-même, et ils m'acceptent.
[ Joann Sfar à la fin du livre ]
En 1903, après Kishinev, après des milliers d'autres pogroms, les Juifs russes et polonais et austro-hongrois ont parfaitement compris que l'Europe veut les exterminer. Grâce au tsar, le message est limpide. On a compris que se russifier, se germaniser ou s'occidentaliser m'apaisera pas l'envie grandissante de massacre.
Alors il y a ceux qui partent. Dans des proportions comparables, ils vont vers l'Amérique du Sud, vers New York, et vers Israël. Le sionisme, c'est ça : se sauver où on peut. Cessons de présenter le sionisme comme une idéologie ou un rêve dominateur : c'est juste la panique des Juifs russes qui cherchent un endroit où on ne les massacrera pas.
[...]
Maudits soyez-vous si vous propagez le mensonge d'un peuple juif jaloux de ses blessures et qui serait insensible au mal que l'on fait aux autres peuples. Ce que Bialik a décrit de Kishinev, c'est notre espèce rendue universelle par le malheur, la bêtise et la méchanceté. Kishinev, c'est Kigali. Et celui qui croit que les Juifs ne savent pas pleurer pour les autres peuples, à mes yeux, il est déjà mort.
(Joan Sfar)
Seigneur, nous sommes en 1903 !
Je veux bien mourir la langue arrachée par ces singes !
Je veux bien que toute ma génération périsse dans les flammes !
Mais Seigneur, par pitié ! Fais que dans cent ans on n'entende plus jamais des connards pareils !
- Je ne sais même pas pourquoi on discute, vous avez tué le Christ.
- Mais...mais Jésus, c'était un chef politique et religieux JUIF. Il était circoncis, bordel ! Il est mort en mangeant cachère !
Vous croyez que vous êtes le seul avec ces malheurs ?
Tout le monde perd la boule !
Il y en a même qui prient !
Quand les gens sont trop différents, ça ne peut pas marcher.