AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


La Tragédie de Macbeth synthétise beaucoup des thèmes chers à William Shakespeare : la trahison comme dans Othello, l'usurpation et la vengeance comme dans Hamlet, la prophétie et la destinée comme dans La Tempête, la folie et le changement dynastique comme dans Richard II, pour ne citer que celles-là car l'on pourrait encore allonger de la sorte démesurément la liste sans que cela n'apporte beaucoup au propos.

On aura compris qu'il y a différents thèmes dans cette pièce en cinq actes. Celui qui m'apparaît ressortir plus que tout autre est celui de la morale et de l'acte vertueux. Restons dans le droit chemin, semble nous dire en substance Shakespeare, car chaque pas en dehors du tracé du bien en appelle un suivant de sorte que, de vilenie en vilenie, le retour à la vertu est impossible et l'on s'embourbe toujours plus profondément dans les fétides marécages du mal jusqu'à n'en plus trouver d'issue, sauf l'ultime.

Au départ, Macbeth a des valeurs, des scrupules, des freins, des remords puis, peu à peu, à chaque nouvelle action pendable, ses verrous intérieurs sautent les uns après les autres jusqu'à lui accorder toute licence dans l'atrocité ou dans la barbarie.

Il convient de signaler également dans cette fonction facilitatrice, le rôle prépondérant de Lady Macbeth, totalement dénuée de scrupules alors que son mari tergiversait. Comment interpréter cette nouvelle mouture de la consommation du fruit défendu par Adam sous la houlette d'Ève et de l'exclusion à jamais qui s'ensuit du Jardin d'Éden ?

Macbeth, de courageux et noble au départ, à mesure qu'il sombre dans les travers du mal mu par sa soif de pouvoir, devient pleutre et vil. Lady Macbeth, de forte et inflexible qu'elle nous apparaît au commencement, se métamorphose progressivement jusqu'à devenir fragile, malingre et instable.

On perçoit, je pense, le sens qu'a voulu donner l'auteur à l'aliénation du couple principal : en déviant de l'axe vertueux, on érode, on corrode, on débrode le joli fil de soie de la morale humaine, livrant au regard la trame brute et laide du textile sans fard, l'animalité crue de l'Homme, dépouillée des règles sociales et morales.

Ce qui fait l'humain, c'est qu'il ne s'abandonne pas à ses instincts primaires, c'est le respect des lois et de la morale. À mesure donc que Macbeth enfreint les règles élémentaires (hospitalité, allégeance, amitié, fidélité, loyauté, etc.), il se déshumanise graduellement jusqu'à devenir un rat acculé au coin d'une pièce, prêt à sauter au visage de n'importe qui simplement pour rester en vie.

Je ne peux m'empêcher de voir dans Macbeth un double inversé de Hamlet. Ou, plus précisément, la même pièce mais focalisée sur un point de vue différent. Dans Hamlet, le roi légitime, le vieil Hamlet, avait été trahi et assassiné par son frère Claudius avec la connivence de la reine, propre mère de Hamlet. le point de vue était donc centralisé sur le fils du roi déchu.

Ici, au lieu d'avoir le point focal sur Hamlet, on l'a sur Claudius, et Claudius se nomme alors Macbeth. Mais c'est la même formule de base ; convertissez Hamlet en Malcolm et le vieil Hamlet en Duncan ; acceptez qu'il puisse y avoir un dédoublement du vieil Hamlet qui en plus d'être Duncan serait aussi Banquo et vous retrouvez le spectre dont le rôle est si prégnant dans Hamlet.

Pour que l'analogie soit totale, il nous faut encore un messager symbolique : c'était le jeu de la pièce de théâtre dans Hamlet, ce sont les trois sorcières dans Macbeth et, comme par magie, l'on retombe sur nos pieds. le thème phare de Hamlet — la mort et l'inutilité de la vie ( le fameux « to be or not to be ») — s'avère être une part cruciale de Macbeth, prétexte à l'une des plus belles tirades de tout le théâtre shakespearien à la scène 5 de l'acte V où Macbeth s'écrie :

« La vie n'est qu'une ombre en marche, un pauvre acteur,
Qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène,
Et puis qu'on n'entend plus. C'est un récit
Conté par un idiot, plein de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien. »
Formule magistrale à laquelle un autre William (Faulkner), donnera une descendance au XXème siècle.

On pourrait poursuivre encore longtemps le parallèle entre Hamlet et Macbeth. Par exemple, Hamlet se faisait passer pour fou afin de sonder l'entourage du roi Claudius, et ici, Malcolm se fait passer pour vil afin de tester Macduff. Les deux veulent venger la mort de leur père, un roi qu'on a assassiné.

La folie et le suicide de Lady Macbeth répondent comme un écho à la mère de Hamlet et à la fin d'Ophélie. de même que le maléfique Claudius n'avait pas d'enfant, le couple Macbeth, empreint du mal, disparaît sans descendance.

Comment ne pas voir un clin d'oeil ou un appel du pied au règne d'Elisabeth Ière, reine sans enfant, dont on sait qu'elle était probablement impliquée dans des morts louches, notamment celle de la femme de son amant ? le souverain doit donc savoir être réceptif aux avertissements qui lui sont transmis par les esprits éclairés. Dans la vraie vie du XVIIème siècle, c'est le théâtre et notamment Shakespeare qui donne ces signaux d'alarme, dans Macbeth, ce sont les trois sorcières.

Selon Shakespeare, le pouvoir oublieux de la morale, qui ne parvient pas à décoder comme il convient les prophéties et les avertissements délivrés par le théâtre est appelé à disparaître. Macbeth reproche d'ailleurs, à la scène 7 de l'acte V, le double entente qu'on peut faire du langage et accuse les sorcières d'être des tricheuses, alors même qu'elles lui ont fidèlement tout annoncé, tout prédit, mais que lui a mal interprété leur discours.

Le lien avec les messages délivrés par le théâtre à l'adresse du pouvoir me semble évident. le théâtre utilise le symbole, la métaphore, les analogies historiques ou les contrées lointaines, mais ce dont il parle vraiment, pour qui sait lire entre les lignes et briser les encodages, c'est du brûlant présent, de l'ici et du maintenant.

J'en terminerai, car même s'il resterait encore beaucoup de choses à dire de cette tragédie j'ai conscience que ma critique atteint déjà une longueur critique, en signalant dans le registre du cinéma qu'il y a probablement un peu (ou même beaucoup) de Macbeth dans le personnage ô combien fameux de Dark Vador dans l'épopée Star Wars. de même, Akira Kurosawa transposa Macbeth avec des samouraï japonais dans son film le Château de L'Araignée.

En somme, une bien belle tragédie, vaguement et très librement inspirée de l'histoire réelle de l'Écosse peu après l'an Mil et dont William Shakespeare a su tirer matière à beauté et à réflexion, comme souvent. Je me dépêche de préciser, tant que mon ordinateur tient encore le coup (en effet, depuis quelques temps, mon mac baisse) que tout ceci n'est qu'un avis, pas beaucoup plus qu'un spectre de Banquo, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          15012



Ont apprécié cette critique (122)voir plus




{* *}