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Critique de stalker


LIVRE GENIAL !!!

Outre le fait qu'il inaugure des réflexions qui vont parcourir toute la science-fiction jusqu'à aujourd'hui (rapports entre l'homme et une science qui risque de le dépasser), Frankenstein possède quelques chapitres qui sont une véritable pépite littéraire :
Les chapitres 11 à 16, en donnant la parole au monstre, sont une innovation qui ouvre la voie à toute une partie de la littérature moderne. D'un point de vue narratif, c'est une merveille : la créature raconte elle-même ses impressions à son premier réveil, alors qu'elle ne maîtrisait pas encore le langage. Voici comment elle décrit sa découverte du rôle des paupières : "A strange multiplicity of sensations seized me, and I saw, felt, heard and smelt at the same time; and it was, indeed, a long time before I learned to distinguish between the operations of my various senses. By degrees, I remember, a stronger light pressed upon my nerves, so that I was obliged to shut my eyes. Darkness then came over me, and troubled me; but hardly had I felt this, when, by opening my eyes, as I now suppose, the light poured in upon me again"
C'était, à ma connaissance, la première fois que l'on donnait la parole au monstre, et non aux hommes chargés de l'anéantir. le mot technique pour caractériser ce procédé est OSTRANENIE (ou SINGULARISATION), mot russe employé par Chklovski et introduit en France par Todorov (en 1966, dans Théorie de la littérature, au Seuil), et dont la définition pourrait être : "Processus qui permet à la littérature de donner vie et sens aux événements en amenant le lecteur à les considérer sous un angle différent de sa perception habituelle". Pour un auteur comme Tolstoï par exemple, le but de l'art est de lutter contre l'automatisation de nos rapports avec le réel.

Un peu d'histoire littéraire :
La littérature classique cherchait à donner des modèles, à promulguer des lois communes, valables pour tous. Elle avait un but de généralisation, de création de types universels (Voir Les Caractères).
Au contraire, avec la révolution française et l'accession de l'individu à L Histoire (dont l'exemple le plus frappant est Napoléon), la littérature va aller vers le singulier, l'unique. L'artiste n'est plus branché sur l'universel, mais est maintenant considéré comme porteur d'un destin et d'une oeuvre dont l'unicité fait la valeur.
Dans ce processus, la poésie romantique joue un grand rôle, en faisant du poète un être possédant un regard unique sur le monde. le subjectif prend le pas sur l'objectif. Plus de discours impersonnel et normatif, mais les cris de l'âme.
Dans l'univers du roman, on présente volontier des personnages exceptionnels qui nous donnent un regard différent sur le monde. L'un des procédés les plus intéressants dans cette recherche d'un discours subjectif et unique, et j'en reviens à Frankenstein, est l'utilisation d'un narrateur intérieur : on voit le monde par les yeux d'un être caractérisé par sa singularité (de l'enfant à l'animal, du monstre à l'ange).
Et lorsque la narration est à la première personne, que le personnage singulier prend lui-même la parole, on aboutit à une vision totalement subjective.

Le procédé est aujourd'hui largement exploité, dans la science-fiction (on donne par exemple la parole à l'extra-terrestre, au mutant...) comme dans la littérature générale.

Quand il est couplé à l'utilisation du monologue intérieur, il peut aboutir à des chef-d'oeuvres (voir de W. Faulkner, le bruit et la fureur et Tandis que j'agonise). Davantage encore lorsque l'auteur ménage un doute sur l'identité du narrateur : à lire absolument, si ce genre de choses vous intéresse : le Chasseur d'Eric Vuillard, sorti il y a une dizaine d'années.

Merci.
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