La peine maximale pour un meurtre dépassait rarement les seize ans, et c'était la plus grande injustice du système islandais. Seize ans seulement , et la plupart des coupables ressortaient au bout de dix ans. Une toute petite décennie contre une vie humaine.
Comment les gens pouvaient tenir ici l'hiver, si c'était ça, l'été ?
Des touristes professionnels. C'est bien connu. Il y a pas mal de gens qui vivent de ça dans le monde. Déplacer de l'argent pour des organisations criminelles ou des individus.
Étonnamment, il parvenait à rendre ce commentaire flatteur pour les deux, Isafold était heureuse d’être une fille-elfe, elle avait pratiqué le ballet et, plus tard, la gymnastique, dans laquelle elle avait mis à profit sa souplesse et son élasticité. Aurora n’était pas moins ravie d’être une fille-troll, car leur père était lui aussi un grand gabarit, d’ailleurs il avait presque un travail de troll en tant que vigile et participait aux jeux des Highlands ; la force musculaire était donc un sujet fréquemment abordé à la maison.
C'était tellement islandais, de toujours vivre dans la précipitation, de toujours tout faire à la dernière minute.
Et elle était suffisamment douée en calcul pour être parfaitement consciente qu'une entreprise ne pouvait payer ses employés au noir sans avoir des rentrées d'argent non déclarées.
Putain d'Islande. Putain de minuscule Islande.
Elle suivit du regard le flux des voyageurs empruntant les escalators vers le hall des départs à l’étage. Il s’agissait surtout de touristes étrangers retournant chez eux, mais il y avait aussi quelques Islandais et, sans vraiment savoir comment, Aurora parvenait toujours à les repérer. Peut-être leur apparence, ou simplement la joie qu’on décelait dans leurs mouvements, l’exaltation qui se lisait sur leur visage lorsqu’ils s’apprêtaient à quitter le pays. Aurora comprenait mieux que quiconque pourquoi les Islandais étaient toujours heureux de partir à l’étranger. Peu importe la destination, ils étaient à peu près assurés que le temps y serait plus clément et les prix plus abordables.
Isafold est d’accord avec tout ce qu’Ebbi, son beau-frère, et moi lui disons, alors que nous sommes assis tous les trois à la table de la cuisine de ce dernier à partager un sachet de beignets à la lueur des bougies. Elle est enfin prête à quitter Björn. Elle voit bien que ça ne fonctionne pas. Elle sait qu’elle se met en danger, qu’elle doit rompre ce cercle infernal. Je nous réserve deux billets sur le vol du lendemain pour Édimburg, et lui achète un billet de train pour qu’elle rejoigne maman à Newcastle. Ebbi va passer chez Björn récupérer son passeport et quelques vêtements. Plus tard dans la soirée, elle reçoit la visite de sa belle-mère, venue défendre son fils. Elle dit qu’il est anéanti. Qu’il regrette de l’avoir malmenée. Qu’il ferait tout pour obtenir son pardon. Avant de conclure en rappelant à Isafold qu’elle devrait éviter de le provoquer ainsi. Le lendemain, à mon réveil, je retrouve Ebbi à la table de la cuisine. Il secoue la tête d’un air désolé. Isafold est repartie chez Björn.
Pouvait-on souffrir d'un chagrin d'amour pour une femme qu'on connaissait à peine, dont on n'avait jamais été proche, en dehors d'un petit tour à moto et d'un baiser embarrassé ?