Et pourtant, c'était un homme comme elles n'en avaient jamais vu dans le car qui les emmenait chaque samedi au marché. La Couderc, elle, l'avait compris dès le premier moment. Elle l'avait vu qui faisait signe à l'auto avant d'arrêter l'autobus. Elle avait remarqué qu'il avait les mains vides ; et on ne marche pas les mains vides le long des grand-routes sans seulement savoir où l'on va.
« Ce n’est pas un homme qui capable de me faire peur… »
À la campagne, ce n'est jamais dimanche toute la journée...
Il fut longtemps comme abruti, courbaturé, à la fois maussade et encore frissonnant d'extase. Le plus extraordinaire, c'était la présence de Tati. Elle les regardait s'enlacer comme elle regardait ses poules ou ses lapins, avec un sourire heureux, encourageant et elle leur disait :
- Aimez-vous bien, mes pigeons !
Il marchait sur la grande route, dans le soleil, une toute petite ombre à ses pieds, et il allait à enjambées souples de l'ombre d'un arbre à l'ombre d'un autre arbre à travers des losanges de soleil…
Quant à toi, ma pauvre Françoise, tu es tellement bête qu'on a envie, au lieu de te parler, de te tendre une poignée de foin...
« Elle l’enveloppait de son regard. Elle prenait possession de lui. Elle n’avait pas peur. Elle tenait à lui faire comprendre qu’elle n’avait pas peur de lui. »
Vraiment, depuis qu'une lourde porte là-bas, à Fontevrault, s'était refermée, depuis qu'un homme en uniforme lui avait lancé : "Bonne chance", depuis qu'il avait marché devant lui, sans but, rien ne le rattachait plus à rien, tout était gratuit, les jours ne comptaient plus, rien ne comptait que le présent magnifique et bourdonnant de soleil.
Pourquoi s'énervait-elle de la sorte ? Est-ce qu'il s'énervait, lui ? Il était lucide, parfaitement lucide ! Il voyait tous les détails de la chambre, et le rideau qui se gonflait comme s'il y avait quelqu'un derrière...