Lorsque je termine la lecture d'un livre, je laisse infuser avant d'essayer d'en dire quelques mots.
Une fois n'est pas coutume et parce que nous sommes le premier mai et que
Samuel Paty est tombé au champ d'horreur d'un travail qui le passionnait, d'un travail qui lui a coûté la vie, d'un travail dont
Malala Yousafzaï, fille d'un père enseignant, victime elle-même d'un attentat islamiste, dit : " Un enfant, un professeur, un livre, un crayon peuvent changer le monde ", je déroge à mes habitudes.
Le livre enquête de
Stéphane Simon ( journaliste, producteur TV ) - Les derniers jours de
Samuel Paty - propose une chronologie détaillée, précise, étayée des onze jours qui ont précédé l'assassinat de cet enseignant de quarante-sept ans par Abdoullakh Anzorov, un jeune réfugié Tchétchène radicalisé âgé de dix-huit ans.
Onze longs et terribles jours qui vont mettre en évidence l'échec annoncé d'un pays, de son administration, des rouages de son État, un échec imputable à la négligence, à l'incompétence, au travail bâclé, à la procrastination, à la bêtise, à l'entêtement, à la peur ( ne méritent le muguet que ceux qui font exception aux nominatifs présents dans cet énoncé ).
Onze longs et terribles jours où le communautarisme, l'islam radical, renforcés par la toute-puissance incontrôlée des réseaux sociaux, précieux auxiliaires serviles des réseaux islamistes, vont pouvoir alimenter à satiété la gueule de la machine à broyer dont les mâchoires pourront au final se repaître d'un innocent désigné à sa vindicte.
Onze longs et terribles jours durant lesquels des femmes, des hommes, proches professionnellement de
Samuel Paty vont pour certains se dérober, pour très peu d'autres accompagner l'enseignant dans son Calvaire.
Onze longs et terribles jours où, le hasard, les circonstances, le fatum... que sais-je... vont peser de tout leur poids dans l'issue de cette tragédie... Je pense par exemple à l'impossibilité pour
Samuel Paty d'utiliser sa voiture pour cause de bip permettant l'ouverture de la grille d'entrée du parking du collège... défaillant ; un bib qu'il espèrera récupérer jusqu'au dernier de ces onze derniers jours.
La machine infernale se met en branle le 5 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, au collège public du Bois-d'Aulne appartenant à l'académie de Versailles, lorsque
Samuel Paty, professeur d'histoire et de géographie, chargé du cours d'éducation civique et morale ( EMC ), consacre le cours en question à " la liberté d'expression ".
Ce cours, il l'a baptisé : " Situation dilemne : être ou ne pas être Charlie."
Pour le rendre " un peu moins magistral et un peu plus vivant ", il a choisi de le rendre interactif, de raconter " les heures tragiques de
Charlie Hebdo après la publication des caricatures, d'illustrer son propos.
"
Samuel Paty s'avance au tableau et y trace deux colonnes. À gauche, " Je suis Charlie ". À droite, " Je ne suis pas Charlie ". En dessous de chacune, il inscrit les arguments de l'une ou l'autre position : " La liberté de l'homme est un droit de la presse " ou au contraire "
Charlie Hebdo n'est pas respectueux envers la religion " Un exercice de réflexion dialectique...
Avant de passer de la théorie à l'illustration,
Samuel Paty s'est également posé la question de savoir s'il faut que tous ses élèves assistent à son cours, et en particulier à la projection des caricatures...
Il a finalement décidé en rendant possible que les " âmes sensibles " s'abstiennent.
Parce qu'il sait que les caricatures peuvent heurter, l'enseignant propose donc à ceux qui le souhaiteraient de " détourner le regard " ou de " sortir de la classe ".
Il pense ainsi préserver l'essentiel, le cours sur la liberté d'expression qui dure cinquante minutes, là où la projection des illustrations ne prendra que quelques instants. Cinq élèves demandent alors à sortir, avec l'accord de leur professeur et sous la surveillance d'une AESH ( Accompagnant d'élève en situation de handicap )...
L'enseignant utilise un diaporama afin d'illustrer son propos. Parmi les images projetées se trouvent quatre caricatures de Mahomet. L'une est signée Coco, l'une des dessinatrices emblématiques de
Charlie Hebdo. Son dessin, publié pour la première fois en septembre 2012, montre un homme nu se prosternant à terre, portant une barbe fournie et un bonnet blanc, les parties génitales bien en vue, l'anus caché par une étoile jaune. En légende : " Mahomet : une étoile est née ".
Nous sommes le lundi 5 octobre dans la classe de quatrième " 5 " du collège public du Bois-d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine ; il est entre 10 h 30 et 11 h 30, la machine infernale vient de se mettre en marche... plus rien ne l'arrêtera.
Stéphane Simon va à travers un compte à rebours scrupuleux retracer minutieusement et précisément qui, quoi, comment, quand et où cette machine infernale a embarqué de coupables, de témoins plus ou moins directs, de responsables plus ou moins directs.
Nous avons tous des infos sur cet assassinat terroriste. Peut-être nous en faisons-nous une idée, formulons des hypothèses, avons des convictions " inébranlables "...
Cette enquête de
Stéphane Simon nous donne l'occasion de compléter, de nuancer, de relativiser, de confirmer ou d'infirmer nos doutes ou nos certitudes.
L'auteur a une thèse, celle de la défaillance de l'État.
Après lecture de son enquête, j'ai une meilleure approche de ce terrible drame, plus fournie, plus nuancée.
Je n'en dirai rien, laissant à chacun le droit de décider en son âme et conscience.
Après que
Samuel Paty ait été frappé de dix-sept coups de couteau, puis décapité postmortem par son assassin le 16 octobre 2020.
Après qu'il ait eu " droit " à des funérailles nationales dans la cour pavée de la Sorbonne, qu'on lui ait remis la Légion d'honneur à titre posthume le 21 octobre 2020.
Après que son petit garçon de sept ans ait été fait pupille de la nation.
Après que l'on ait donné son nom, et qu'on continue de le faire à raison, à des rues, des squares, des établissements publics, qu'est-il advenu ?
"Avons-nous défendu la liberté que vous enseigniez si bien et portons-nous haut la laïcité ? Avons-nous tenu l'engagement de ne pas renoncer aux caricatures, aux dessins, même si d'autres reculent ? Nous efforçons-nous d'offrir toutes les chances que la République doit à toute sa jeunesse sans discrimination aucune ? Est-ce cela que nous faisons, professeur ?
À chacun de voir.
Si j'ai des doutes, je les tairai.
En revanche, ce que j'exige en tant que citoyen, c'est que le procès qui pourrait avoir lieu cet automne, ne soit pas un procès à huis clos... comme ce pourrait être le cas, car impliquant des mineurs... mais qu'il soit public comme le réclame la famille Paty !
Je me permets de reproduire un petit texte que j'avais écrit après la mort de
Samuel Paty.
LA PROIE
Une toile d'araignée
Aux fils dégouttant de sang,
Tissée par des mains sales,
Guettait, tapie dans un chemin,
Qu'un maître au sortir de l'école,
Vienne s'enferrer dans ses filets de haine,
Et que de ses crochets tranchants
Elle puisse ôter au malheureux
L'espoir d'un lendemain
En incisant sa vie à gands coups d'un venin
Sécrété par un esprit qu'elle affirmait divin