Avant la longue flamme rouge

Vanak n'a lui-même jamais tout à fait arrêté de chercher sa mère. Selon lui c'est un test pour savoir si on aime vraiment quelqu'un : quand on sait que cette personne n'est pas là mais qu'on ne peut pas s'empêcher de la chercher, cela veut dire qu'on l'aime.

Les cadavres de Pierre et Thol continuent à recevoir des balles, comme si une loi physique avait prévu qu'une fois touché par une balle on attire mieux les suivantes.

Les moustiques, ayant sans doute compris qu'il était prisonnier, s'en donnent à cœur joie. Quand ils repartent après l'avoir piqué, ils ont tellement bu qu'ils ont du mal à voler : on dirait des gouttes de sang ailées.

Les mots, leur dit-elle, sont des hameçons envoyés par les poètes pour creuser des sillons sous le soleil, la mer, les cimes de l'Himalaya, les jardins multicolores, les horloges mécaniques. Les mots dansent partout. Ils travaillent. Ils organisent des batailles. La vie, les étoiles, la peau, le silence, ce sont des mots. Ce sont des hameçons. Il suffit d'écouter.

Les mots sont des hameçons envoyés par les poètes pour creuser des sillons sous le soleil, la mer, les cimes de l’Himalaya, les jardins multicolores, les horloges mécaniques. Les mots dansent partout. Ils travaillent. Ils organisent des batailles. La vie, les étoiles, la peau, le silence, ce sont des mots. Ce sont des hameçons. Il suffit d’écouter.

La ville entière est un camp de réfugié. Les panneaux de signalisation servent aux paysans d’étendoirs et de faîtes à leurs sacs à viande. Un muletier sur le boulevard Monivong a installé une mangeoire dans la carcasse d’une de ses bêtes. Des rats aux yeux rouges déambulent, chassés des entrailles de la terre par les milliers de paysans cherchant à se protéger des tirs de roquettes et de la mousson. (page 259)

De même qu’on a entretenu les routes et les dispensaires de l’empire colonial, de même a-t-on conservé la matière première de sa force civilisatrice : ses formulaires. (page 26)

Le fleuve des réfugiés avance vers la Thaïlande. Paysans en sabots. Bonzes expulsés des pagodes. Ouvriers sans histoire. Saravouth essaye de se rassurer en se disant qu'en cas d'attaque les balles pour l'atteindre devront d'abord faucher les fermiers qui marchent sur le côté de la colonne, se frayer un chemin à travers leurs bufflonnes puis traverser une charrette remplie de breloques et une ribambelle de cultivateurs ; il aura le temps de s'échapper vers la forêt.

Des îlots de jacinthes flottent et remuent, trahissant la présence de poissons énormes. Des plaques d'écume surnagent. Saravouth aperçoit plusieurs crocodiles. Sur les rives, la forêt se déboucle, ensanglantée, calcinée. Cette forêt qui l'a nourri à la tétine de ses arbres, il la reconnaît à peine. Palmiers en feu. Vastes étendues de terre brûlée. Les rares troncs à tenir debout semblent montrer leurs plaies à Dieu en répétant : "Pourquoi ? Pourquoi ?"

Des voisins, des amis, des frères s’entretuent au nom de la république, du communisme, du prince, au nom d’un peuple ou d’un dieu, d’un cadastre, une idée, un livre, la misère. (page 13)