Écrire, c'est d'abord questionner. Le poète, mû par un besoin impérieux de vérité, par une sourde exigence de réforme, par la confuse mais irrécusable intuition d'un secret, s'ouvre à l'aire du questionnement. Qui suis-je? demande-t-il. C'est la question inaugurale d'Ecce Homo, de Nadja, de Ci-gît ou de cet autre texte d'Artaud :
"Je me souviens depuis l'âge de huit ans, et même avant, m'être toujours demandé qui j'étais, ce que j'étais et pourquoi vivre, je me souviens à l'âge de six ans... m’être demandé à l'heure du goûter... ce que c'était, que d'être et vivre, ce que c'était que de se voir respirer et avoir voulu me respirer afin d'éprouver le fait de vivre et de voir s'il me convenait et en quoi il me convenait.
Je me demandais pourquoi j'étais là ce que c'était que d'être là. - et en quoi la question se pose et pourquoi poser la question, oui, pourquoi se poser la question d'être, ou de n'être pas lorsque l'on vit et qu'on est là... en quoi peut consister ce moi qui se sent ce qu'on appelle être, être un être parce que j'ai un corps? "
La question exorbitante du Lieu des signes de Bernard Noël :
"J'avais huit ans, tout au plus. L'école du village (Alpuech). Je me voyais assis là sur mon banc. Je me voyais MOI assis là au milieu des autres, avec ma place , mon banc. MOI échoué là. Présent là. Énorme ahurissement d'être là, MOI ! Et bizarre lumière tout à coup sur les choses."
La poésie recherche une communication vide. Elle met en œuvre une autre parole, une autre pensée qui ouvrent sur l'inconnu. Elle ne déduit ni ne clarifie, elle n'est pas l'espace rassurant, familier, ne mène pas à la justification, à une sagesse-sérénité. Ni métaphysique, ni religieuse, elle voue au non-sens, à la destruction des bonnes raisons. En elle s'affrontent les contradictions et se déchirent les extrêmes, se livre un combat qui force les mots à avouer leurs limites, leur part de convention et d'usure. Et pourtant, dans ce non-lieu où tout s’anéantit, s'apprêtent, comme pour une fête, un regard sauvage, attentif aux formes « naissantes », une langue originelle, une présence, et un ordre.