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EAN : 9782070393763
132 pages
Gallimard (13/10/1995)
3.85/5   473 notes
Résumé :
« Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C'est une solitude essentielle. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du... >Voir plus
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Il y a la maison de Neauphle avec son parc et son étang. Elle est le refuge où Marguerite peut s'extraire du monde. Avoir peur. Boire. Expérimenter la solitude jusqu'à la folie pour être dans l'état d'écrire :

" La solitude est toujours accompagnée de folie. Je le sais. On ne voit pas la folie. Quelquefois seulement on la pressent. Je ne crois pas qu'il puisse en être autrement. Quant on sort tout de soi, tout un livre, on est forcément dans un état particulier d'une certaine solitude qu'on ne peut partager avec personne. "

Et puis il y a Vauville. Un village proche de Deauville avec une chapelle adorable et, en face, la tombe d'un aviateur anglais. Marguerite écrit l'histoire de ce jeune orphelin abattu par une batterie allemande et veillé toute une nuit par le village. Une mort qu'elle rapproche de celle, pendant la guerre du Japon, de Paulo son petit frère, l'amour de sa vie entière.

Ecrire, c'est ça aussi, c'est faire que le jeune Anglais et Paulo continuent d'exister, empêcher que leur histoire ne se termine pour l'éternité. Comme la mouche que Marguerite a regardé mourir et consigné les derniers instants. Des morts - qui l'ont profondément touchée - qui ne sont pas une fin par le seul fait de leur écriture.

Intelligente, émouvante, magistrale, Marguerite Duras nous livre un essai authentique et brillant sur ce que signifie pour elle écrire, dont elle dit : " Ecrire c'était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait. Je l'ai fait. L'écriture ne m'a jamais quittée. "

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J'entre sur la pointe des pieds dans la maison de Neauphle, l'antre, le refuge, la retraite de Marguerite Duras. Je m'arrête à côté du piano qu'elle a acheté en même temps que la maison, et je la regarde écrire.
Marguerite Duras écrit « quand la nuit commence à s'installer. Quand le travail cesse dehors. » Elle a ce luxe de ne pas avoir d'horaires à respecter.
Il lui faut des conditions drastiques pour pouvoir écrire.
Etre seule d'abord. Seule avec son livre non encore écrit. « Seule avec l'écriture encore en friche. » Elle a besoin de cette solitude qui dévore tout, une solitude si envahissante qu'elle se met parfois en danger, risquant de basculer dans la démence.
Il n'y a rien de construit dans son acte d'écriture. Il n'y pas de techniques particulières. Pour Marguerite Duras, l'écrit « c'est comme le vent qui passe. » C'est comme un dédoublement de personnalité. Je devine une intense jouissance quand elle entre dans cette terre inconnue, mais aussi une grande souffrance. L'écriture, à ce point d'exigence et de déraison, n'est-elle pas une maladie ?
En tous les cas, s'il y a bien une chose qu'il ne faut pas faire, c'est de savoir ce qu'on veut écrire, avant d'écrire.
Les mots et les phrases employés dans ce livre sont d'une grande simplicité, mais derrière cette simplicité, se cachent des amours torrides et des haines assassines, des vertiges et des folies si éloignés de moi que je ne pourrai jamais les comprendre.
Je reste tout bonnement saisi par le silence épais qui entoure l'écrivaine, par cet acte quasi religieux d'écrire avec ses rituels tellement compliqués, et je sors de la maison comme j'y étais entré, sur la pointe des pieds, laissant Marguerite Duras assise par terre, en train de contempler, comme fascinée, une mouche en train de mourir.
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Ecrire, à l'infinitif, infinitus, sans bornes, profonde réflexion aux horizons indéfinis sur l'écriture et ses multiples facettes contradictoires surprenantes souvent torturantes, sur le sens et le non sens des mots et du langage, sur l'impossibilité de vivre sans cette torture-nourriture essentielle à sa vie.
La solitude cherchée de la maison et de l'écriture, rime curieusement avec plénitude, un sens que seulement les écrivains peuvent lui donner, certains artistes aussi, ceux qui se nourrissent d'un corps à corps avec la toile ou la terre ou encore la pierre le marbre ou le grès.
Des solitaires qui vivent des rencontres fabuleuses, les premiers à en être surpris.
"Seule, très loin et en même temps très proche de tout", dit Marguerite Duras, "Ecrire, c'était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l'enchantait. Je l'ai fait. L'écriture ne m'a jamais quittée."
Une vraie profession de foi, "une raison d'être", savoir que "seule l'écriture vous sauvera."
Le livre comprend cinq textes dont Ecrire, profond et éprouvant pour Duras, troublant pour moi lectrice. C'est l'écrivaine-créateur qui essaie de parler de sa création, celle dont elle veut accoucher sans savoir ce qu'elle sera, et celle qui la tourmente encore après sa naissance.
"Dans la vie il arrive un moment, et je pense que c'est fatal, auquel on ne peut pas échapper, où tout est mis en doute... Ce doute... il est celui de la solitude... le doute c'est écrire."
La solitude peuplée de Marguerite Duras, la grande maison de Neauphle où elle est seule avec son écriture et ses personnages, avec elle-même et ses chimères ou ses fantasmes, avec un réel et un imaginaire, ses angoisses ses peurs, la cohue dans la maison, le silence, "perdition de soi", quelques objets rappelant une histoire un passé... et la solitude qui revient, féal compagnon obsession cruelle.
Ecrire, livre testament de confidences et de réflexions espacés de pauses interrogations retours sur quelques affirmations, des points de suspension...
Une douloureuse confession une radiographie de sa profession de foi, de ses idées et de son engagement comme écrivain, comme être social, comme raisonnement où la probité ainsi que le doute font loi. "Ça rend sauvage l'écriture", ça fait peur aussi.
Un texte sur l'écriture, en dehors et dedans, recul et intégration jusqu'à en faire un. Les réflexions jaillissent les mots envahissent troublent grisent éclaircissent . L'écriture, miroir de nous mêmes entre adoration et effroi et les deux à la foi, papier de verre et baume cicatrisant, besoin vital comme l'air et l'eau, peut être plus.
"L'écrit ça arrive comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit, et ça passe comme rien d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie."
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Ecrire : sous ce titre sont regroupés cinq textes de Marguerite Duras. L'écriture telle qu'en soi.
- L'EXPOSITION DE LA PEINTURE :
« L'exposition de la peinture » texte qu'elle destine à Roberto Plate, peintre, plasticien, scénographe, argentin, décrit l'artiste dans l'acte de peindre. Non pas seulement dans l'instant de la mise en peinture mais dans la totalité de cet acte.
Temps – espace se rejoignent. Solitude du peintre. Solitude de l'écrit. Duras rejoint Plate, ils sont faits de la même pâte. Artistes mis en lieu clos : l'atelier de Plate, la maison de Duras.
Le propos qu'elle mène, le portrait qu'elle dresse de l'homme dans l'intégralité de son oeuvre, son questionnement sur la succession de ces toiles, de leur enchevêtrement, de leur chevauchement, de leur nature et de l'intérêt de leur distanciation, voilà les questions qui harcèlent l'artiste dans la construction de son oeuvre.
« Ma motivation est de peindre la peinture même » déclare Roberto Plate.
La motivation de Duras n'était elle pas d'écrire l'écriture même ?
Dyptique durassien – époque blanche.

LE NOMBRE PUR
Du mot au nombre.
Du nombre qui représente la vie. Voilà peut être un des textes les plus précis de Duras.
« Pur », ce mot que l'humanité a perdu. Qu'elle n'utilise que pour qualifier ce qu'elle vend.
Ce mot « pur » que Duras ne veut le rattacher à rien, qu'il ne soit qu'à lui même, ce mot du dépassement, de la voix.
Duras n'était pas croyante mais percevait l'appel de chaque ciel.
Ce mot, lors de la seconde guerre mondiale, par le génocide subi par le peuple de Samarie, le sens de ce mot, nous fut ôté.
En violant ce mot, l'humanité s'en voit tout entière dépossédée.
On ne devrait plus dire ce mot tant ce mot ne veut plus rien dire.
Alors le mot ne pouvant plus être prononcé, c'est le nombre qui en lui même va contenir la pureté. L'exactitude de ce qu'il représente.
Impossible de toucher au nombre.
Le nombre est.
Le mot interdit apparaîtra, renaîtra par le nombre.
Ainsi Duras émet le souhait de voir, sur un mur des anciennes usines Renault de Boulogne-Billancourt inscrits tous les noms des travailleurs qui ont dans cette usine porté leur vie.
Un nombre d'hommes écrits.
Un nombre pour représenter.
Non pas l'horreur, non pas l'épouvantable, mais le nombre que représente touts nos vies et leur ensemble scellé dans ce nombre.
Aussi pur que l'Alliance. La nouvelle Arche pour un autre ciel. le nombre, le fils du nom, juste et donc pur.
«  La vérité ce serait le chiffre encore incomparé, incomparable du nombre , le chiffre pur, sans commentaire aucun, le mot. »

ROMA
Roma, mon amour. Voilà ce qui n'est pas écrit, voilà ce que Duras met en scène sur la piazza Navona, dans ce hall d'hôtel.
Unité de l'auteure : unité de lieu, unité de temps.
L'ouverture de Musica, l'absence d'Hiroshima.
Duras nous parle de Rome et de la Reine de Samarie.
Elle nous parle des hommes du Nord, de ceux de la lande. Elle nous parle d'une terre à jamais perdue, enfouie, saccagée, plongée dans l'oubli par les mains et par l'absence de pensée de Rome.
Rome, l'empire, de la toge à l'uniforme noir et vert de gris. Berlin devient Rome . Rome revient en Berlin. Les légions De César sont les colonnes
Le crime contre l'humanité a fait perdre aux hommes l'Ailleurs, le ciel qu'ils se devaient.
On enseigne Rome à l'école, oui. Mais la mémoire perdue, toutes les mémoires perdues, celle de l'enfance, celle des royaume de paix ne peuvent pas être enseignées, elles ne peuvent être que rappelées.
Dire que cela a existé. Avant, avant ils ont existé. Nous avons existé. Avant que cela ne se produise.
Avant que les hommes du Nord viennent tout effacer.
La femme sait Rome. Elle a peur d'être par elle contaminée, d'avoir sur elle, en elle, ce sang qui dans la terre s'est écoulé.
Alors elle reste sur la terrasse, enfermée sur la terrasse .
Elle se détourne de la pensée de Rome. Elle se distrait. Distraction de l'esprit par l'écrit, par l'image qu'il annonce.
Rome ne pense pas. Pour penser il faut en sortir, la fuir. Pour retrouver la mémoire du royaume que l'on croyait perdu à jamais, il faut se rendre dans la plaine, la plaine qui se termine avec le ciel.
Les hommes de Rome ont de leurs mains enfanté de cris.
Les cris ont dressé le pays du silence. Et « C'est dans cet enfer de silence, que le désir est venu ».
Voilà l'écrit, voilà une des raisons de l 'écrit pour l'auteure.
Trouver l'horizon, se mettre en marche vers cet horizon qui rejoint le ciel, retrouver la mémoire pure, celle de l'enfance, avant le crime, retrouver cette terre ce pays, cet Eden.
Cette plaine qui rejoint le ciel : La Lande qui dans la langue babylonienne n'est que le jardin des délices, l'Eden. le paradis perdu, là où l'homme et la femme, vivaient leur amour avant le péché. Là où la possibilité d'aimer se trouvait.
Après le crime est il encore possible d'aimer ?
Non Duras n'était pas croyante, mais en voyant ce qu'elle n'a pas écrit on ne peut pas douter qu'elle marchait vers le ciel.
En suivant le cours des fleuves, Gange, Seine, Mekong, ou celui des neuf dragons, tous les fleuves partent vers la mer.
En les suivant, le regard finit toujours par rejoindre le ciel.
Un texte qui n'est pas si « incroyable » que cela, lorsque l'on sait par quelle main il fut dit.

LA MORT D'UN JEUNE AVIATEUR ANGLAIS:

il avait vingt ans. Il s'appelait W.J Cliffe.
Il est l'enfant. Il est chaque enfant. L'enfant qui est mort. Mort le dernier jour de la guerre.
Il est tous les enfants. Il est dans cette terre l'enfant de tous, lui qui n'était sur la terre l'enfant de personne .
La tombe de l'enfant. C'est à Vauville qu'elle vient le pleurer. Pleurer son enfant, son frère, pleurer tout ce qu'elle a perdu.
«  La mort de n'importe qui c'est la mort entière. N'importe qui c'est tout le monde. »
Elle ne se rendait pas sur la tombe du soldat inconnu, elle pleurait l'éternel enfant perdu.
«  Vingt ans. Je dis son âge. Je dis : il avait vingt ans. Il aura vingt ans pour l'éternité, devant, l'Eternel. Qu'il existe ou non, l'Eternel ce sera cet enfant-là. » 
« Écrire sur tout, tout à la fois, c'est ne pas écrire ».
Alors elle écrit, elle n'écrit que l'histoire de l'enfant, elle écrit ça, ce sujet là, elle n'écrit pas sur tout, elle écrira uniquement ça.
Un nom sur une tombe, un seul nom pour dire l'écroulement du monde.

ECRIRE:
Comment s'est elle mise en écriture, dans cet état. Dans cet état d'écrire. Pourquoi écrire ? Elle ne le sait pas. Comment, voilà son propos. Comment prépare-t-on ce voyage, quel carte emporte-t-on avec soi, que laissons nous en partant, retrouvera- t- on ceux qui dehors , sur le quai nous ont vu nous éloigner sans comprendre vers quoi nous nous rendions.
La maison des Yvelines sera l'embarcation « dans » laquelle elle suivra le cours de son voyage.
L'unité de lieu de Duras : l'écriture.
La maison c'est l'isolement Elle reconnaît l'inexistence de la solitude mais elle est en dehors en s'obligeant à rester dedans. C'est un voyage inversé. L'introspection la mènera en son dehors.
Elle ne maîtrise rien. Elle le sait. « Rien n'est programmé ». le lieu compte til vraiment ? La maison la possède. Elle s'égare, elle se perd, elle est femme perdue, la possédée «  Tout écrivait quand j'écrivais dans la maison. L'écriture était partout. » Elle ne possédait pas son écrit. En écrivant elle se dépossédait. Peur, alcool, désespoir, combat, au fond du puits, au bord de ce que les tremblants nommerait folie, elle s'est contrainte, imposée sa solitude. Elle l'a entièrement construite seule, comme un rempart, comme une tour de gué. C'est la seule attitude qui convenait à l'état qui la maintenait en vie.
« Il y a ça aussi dans la fonction d'écrire et avant tout peut être se dire qu'il ne faut pas se tuer tous les jours du moment que tous les jours on peut se tuer ».
Écrire était un choix. On peut ne pas écrire .On peut aussi choisir de vivre. Elle a choisit, elle a écrit, elle est restée en vie.
Et elle a vu. Elle a compris, aperçu, non pas la fin de son voyage mais ce qui devant elle se dessinait. « Autour de nous tout écrit, c'est ça qu'il faut arriver à percevoir, tout écrit . ...Un jour, peut être, au cours des siècles à venir, on lirait cette écriture, elle serait déchiffrée elle aussi, et traduite. Et l'immensité d'un poème illisible se déploierait dans le ciel ».
Seule, elle recherchait l'universalité. C'est en employant un autre langage, une autre image, qu'elle a tenté de trouver le passage pour nous le révéler.
Dans le secret silence de ses mots se pourrait il qu'elle nous ait laissé la clé ?

Astrid SHRIQUI GARAIN
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Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu Marguerite Duras. Pourtant c'est le cas. Des citations s'éparpillent sur mes cahiers de notes. J'ai lu un livre d'elle et je n'en ai aucun souvenir. Mes orgies livresques sont parfois si nombreuses que je me perds moi-même. Lorsqu'on fait dans le démesuré, nous avons tendance à se perdre, j'imagine.

Ce livre est démesuré. Pour autant, Marguerite Duras ne se perd pas ici. Elle suit un fil conducteur visible d'elle seule et nous amène à elle, car l'écriture c'est toute sa vie. Dans cette sorte d'autobiographie de l'écriture, Marguerite Duras nous raconte dans sa langue singulière comment, où et pourquoi elle a toujours écrit. Ecrire est un texte court d'une cinquantaine de pages, complété dans l'édition folio par quelques exemples de son cru : La mort du jeune aviateur anglais, Roma, le nombre pur et L'exposition de la peinture. L'écriture a toujours été présente pour elle. Tous les prétextes sont bons pour écrire, dit-elle : l'amour d'une mère pour son enfant, l'horreur de la guerre, Rome … Or, lire « c'est écrire » nous dit-elle. Elle commence à écrire sur l'écriture tout aussi naturellement qu'elle l'a fait pour ses romans ou pour des scenarii. Est-on surpris ? Pas le moins du monde. Partout elle a clamé qu'écrire était indissociable de la vie. Pour elle, l'écrivain est une personne totalement engagée dans son existence, puisant indéfiniment dans son expérience des sujets d'écriture. Et elle nous le prouve à travers cette oeuvre qu'elle a écrit à la fin de sa vie. C'est en écrivant qu'elle a appris qui elle était. C'est à travers la solitude vitale que l'écriture s'est faite. L'écriture contient en son essence une solitude nécessaire pour naître, précise-t-elle. Peu importe où nous nous trouvons, l'écriture s'emporte partout. Elle est en nous. La solitude ne se trouve pas. « On la fait (…) Il m'a fallu vingt ans pour écrire ce que je viens de dire là ».


Duras se livre complètement, comme toujours. Les mots ne sont jamais utilisés à moitié avec elle. Ils sont pleinement utilisés, dit, redit, écrabouillés et ressuscités comme par magie. Elle nous confie ses lieux d'écritures puis nous fait l'apologie de sa vie par les mots qui ont bercés son existence et qui l'ont aussi sauvée : « Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi-totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera. Etre sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre c'est se trouver, se retrouver devant un livre ».
Et elle écrit des mots les uns à la suite des autres. Nous suivons médusés, attirés puis parfois, peut être, révulsés ou fatigués. Elle est entière cette femme. Elle ne mâche pas ses mots. Malgré tout, on la suit toujours, happé. Tout devient écrit lorsqu'on écrit, nous dit-elle. Les fumeurs voient bien des cafés partout. Beaucoup de lecteurs et d'écrivains voient, quant à eux, des mots partout : sur leurs corps, sur les visages des gens qu'ils croisent…
Heureusement, tout le monde n'est pas comme ça. Je suis consciente qu'en écrivant que « tout est écrit lorsqu'on écrit » certains peuvent avoir le tournis, si ce n'est pas déjà fait. Ce n'est même pas dans l'air du temps. Ceci parait incroyable parce qu'à mille lieues des pensées véhiculées par les médias. L'écriture rend fou. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est Marguerite Duras. Ce pourrait-être juste son écriture qui rend malade. C'est tout à fait possible. Ce n'est pas moi qui le dis et pourtant je comprends tout à fait son propos. Ecrire rend fou. Ecrire nous permet de renaître souvent. Non seulement il est parfois difficile de transmettre les idées que l'on a en soi mais le travail d'écriture est une remise en question. Faut dire que c'est « curieux un écrivain » nous dit Duras. En effet, précise-t-elle, il ose écrire « l'inconnu qu'il porte » en lui. Il ne sait jamais ce qu'il va écrire tant qu'il n'a pas essayé. Et le voilà qui part à l'inconnu, tout seul… L'écrit se fait dans la solitude rappelons-le.

« L'écriture c'est l'inconnu. Avant d'écrire on ne sait rien de ce qu'on va écrire. Et en tout lucidité. C'est l'inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n'est même pas une réflexion, écrire, c'est une sorte de faculté qu'on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d'une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d'en perdre la vie. »

Pourtant, ne lui en voulons pas s'il nous laisse derrière lui car le chemin que l'écrivain s'apprête à suivre n'est pas toujours une sinécure à en croire Duras.

Ecrire, pour Marguerite Duras, c'est aussi dire et répéter une histoire douloureuse et occasionnant de véritables tortures même des décennies plus tard telles que celles de la mort de l'aviateur anglais. Ecrire, pour elle, ce n'est pas facile. « J'ai voulu écrire sur lui l'enfant anglais. Et je ne peux plus écrire sur lui. Et j'écris vous voyez, quand même, j'écris. C'est parce que j'en écris que je ne sais pas que ça peut être écrit. Je sais que ce n'est pas un récit. C'est un fait brutal, isolé, sans écho. » Elle essaie. Elle aligne les mots mais l'acte d'écrire reste une souffrance. Elle écrit alors : « Je ne peux rien écrire. Il y aurait alors du non-écrit. Un jour ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés, aussitôt. » Ecrire en transmettant l'émotion du fait…. Pas si facile, n'est-ce pas ?

Pourquoi écrire donc? Et pourquoi pas d'abord !
Pardon, ce n'est pas à moi de répondre….

« J'écris à cause de cette chance que j'ai de me mêler de tout, à tout».


Ce livre de Marguerite Duras est un essai peut-être, une réflexion ou une autobiographie de l'écriture... Difficile de décrire cet ensemble de feuillets. Elle-même ne sait pas :
« Ce livre n'est pas un livre. Ce n'est pas une chanson. Ni un poème. Ni des pensées. » Ce livre ? Il n'est qu'un ramassis d'émotions toutes plus douloureuses les une que les autres. Ce pourrait être intéressant à lire nous dit-elle, certes, mais en rien dissemblable d'une « publicité ». C'est dit !


J'ajouterai juste que ce livre est une bonne entrée en matière pour découvrir l'auteur. Il reflète parfaitement les contradictions, la poésie, la difficulté et le bonheur de la lire… Ce livre est court de mots mais longs en termes de réflexions qu'il suscite. Il est d'ici mais il n'a aucun pays.

« C'est ça l'écriture. C'est le train de l'écrit qui passe par votre corps. le traverse. C'est de là qu'on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup, s'emparent de vous. »
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Ca rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnait toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l'écriture, il faut être plus fort que ce qu'on écrit. C'est une drôle de chose, oui. C'est pas seulement l'écriture, l'écrit, c'est les cris des bêtes la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. C'est la vulgarité massive, désespérante de la société. La douleur, c'est Christ aussi et Moïse et les pharaons et tous les juifs, et tous les enfants juifs, et c'est aussi le plus violent du bonheur.
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" Je crois que c'est ça que je reproche aux livres, en général, c'est qu'ils ne sont pas libres. On le voit à travers l'écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l'écrivain a très souvent envers lui-même. L'écrivain, alors il devient son propre flic. J'entends par là la recherche de la bonne forme, c'est-à-dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres "charmants", sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s'incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée. "
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Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera.
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Ecrire, c'est aussi aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit.
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Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit des livres. C'est une solitude. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable, de l'écrit. Je ne parlais de ça à personne. Dans cette période-là de ma première solitude j'avais déjà découvert que c'était écrire qu'il fallait que je fasse. J'en avais déjà été confirmée par Raymond Queneau. Le seul jugement de Raymond Queneau, cette phrase-là : ” Ne faites rien d'autre que ça, écrivez.

246 - [Folio n° 2754, p. 15]
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