L'hypnose, blessure narcissique

En 1938, dans son célèbre article "L'analyse avec fin, l'analyse sans fin", Freud a reconnu que les guérisons produites par la cure analytique ne sont ni prédictibles, ni fiables, ni complètes.

La singularité de l'hypnose est alors qu'il s'agit moins d'un fait "en attente de théorie" qu'un fait mettant en question la position de "jugement sur la réalité" qu'une théorie vise à instituer.

N'est-il pas temps que nous cessions de critiquer la suggestion pour comprendre que ce que nous appelons suggestion désigne en fait, pour le meilleur comme aussi évidemment pour le pire, ce qui donne aux humains la possibilité de penser et de vivre ensemble ?

L'hypnose établit une relation alors que l'expérimentation exige, pour permettre un jugement, la séparation.
L'hypnose est donc une blessure narcissique tant pour les expérimentateurs que pour les thérapeutes. Comment s'étonner de ce qu'elle reste, aujourd'hui encore, considérée comme un phénomène "irrationnel", c'est à dire qui ne peut intéresser que des esprits amateurs de mystère et d'irrationnel, à la limite, un phénomène!ne qui, semble-t-il, "ferait mieux de ne pas exister". Et un tel jugement s'entretient de lui-même. Combien de fois n'avons-nous pas entendu dire : "L'hypnose ? Mais si c'était un phénomène intéressant, cela se saurait !" par des gens naïfs et de bonne volonté, sincèrement étonnés, qui ignorent que nos savoirs ne sont pas neutres, et que le silence pèse sur les phénomènes qui blessent le narcissisme des chercheurs.

Après des années de controverse, nous pouvons conclure que l'hypnose expérimentale ne permet pas la distinction entre fait et artefact. Aucun protocole n'a permis de définir une différence opérationnelle reproductible entre "hypnose réelle" et simulation.

... un névrosé est susceptible, comme l'avait remarqué Ferenczi, de ne pas s'avouer qu'il ressent cette neutralité comme une cruauté et une insensibilité de la part de son analyste. Un schizophrène, lui, sera plus susceptible de "cogner" que de s'engager dans une relation de transfert. Les psychanalystes ont donc introduit, et beaucoup d'entre eux, surtout aux Etats-Unis, ont étendu au traitement des névroses, l'empathie.

Il faut en effet s'en tenir aux concepts et refuser de voir les faits pour continuer à croire que psychanalyse et hypnose s'opposent comme s'opposent recherche d'une vérité libératoire et suggestion dominatrice.

Si les psychanalystes renonçaient au concept d'un inconscient en conflit contre la vérité, résistant à la solution de l'énigme au cœur de la souffrance de l'individu, ils perdraient sans doute aussi le pouvoir de prolonger indéfiniment la durée des cures.
C'est pourquoi, pensons-nous, la question de l'hypnose est si violemment rejeté par les psychanalyse, et c'est pourquoi ceux qui, comme François Roustang, en France, ont posé le problème de la relation entre relations psychanalytique et hypnotique ont été accusés de "scier la branche sur laquelle ils sont assis", c'est-à-dire de mettre en danger leur propre profession.

.... les psychanalystes refusent la blessure narcissique que la réalité a imposé à leurs ambitions. Il vaut mieux maintenir une pratique qui donne au praticien l'impression qu'il comprend ce qu'il fait que d'admettre un retour à la perplexité.

[Freud] reconnaît en 1937 que le pouvoir que le transfert confère au psychanalyste n'est pas suffisant pour vaincre les résistances.