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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Il est des mystères que l'on peut à peine imaginer, et que l'on ne résoudra qu'en partie."
(B. Stoker, "Dracula")

Je suis tout à fait d'accord avec Bram, notamment en examinant son propre cas. Cela fait des années que je me casse la tête pour comprendre comment un auteur capable de créer un mythe sous forme de roman aussi abouti et minutieusement construit que "Dracula" a pu en même temps pondre quelque chose d'aussi douteux que "Le repaire du Ver blanc". Ou encore le présent recueil.

"Dracula" m'a marquée. C'était ma toute première histoire vampirique, lue à un âge encore relativement tendre, et j'ai mis un moment pour la digérer. Mais une fois les pires sueurs nocturnes passées, j'en voulais encore. D'autres histoires de Bram Stoker, tout aussi remarquablement inquiétantes et angoissantes, si possible ! Et j'ai vite mis la main sur le recueil intitulé "L'Invité de Dracula".
Mais, que diable... ?! L'histoire éponyme n'était pas mauvaise, mais tellement, hm... différente ? Et les autres ? le style de narration était naïf, presque enfantin. La construction curieuse des récits faisait parfois penser que Bram avait imaginé une bonne chute, mais ensuite il peinait beaucoup pour gravir la pente afin de choir comme prévu. Les incohérences étaient légion. Vraiment, sachant que ces histoires sortent de la même plume, quelle était donc cette puissance qui a guidé la main lors de la rédaction de "Dracula" ? le "mystère" est devenu tellement obsédant qu'en quelque sorte, "Dracula" est devenu ma marotte. Je n'ai réussi à le résoudre "qu'en partie", car les supposées inspirations et motivations personnelles du géant roux sont si nombreuses qu'il vaut mieux les prendre avec réserve. Mais une chose est certaine : Stoker était vraiment investi dans l'écriture de son roman vampirique : c'était une sorte de soupape qui lui a permis de ventiler tout un tas de ses propres pressions internes. Et l'effort a été payant...

On peut donc difficilement utiliser le même mètre pour le reste de sa production littéraire, qui consiste en nouvelles inspirées du folklore irlandais ou issues de l'intérêt de Stoker pour les sciences occultes, très en vogue à cette époque. L'auteur s'est frotté à l'occultisme en préparant avec l'acteur Henry Irving le "Faust" de Goethe pour le Lyceum Theatre, et par la suite il est devenu, dit-on, membre de l'ordre hermétique de l'Aube Dorée.
A la même époque, de l'autre côté de l'océan, Whitman devient le porte-parole de la philosophie de la liberté naturelle ; Stoker lui avait écrit une lettre pleine d'admiration, mais il ne l'a jamais envoyée. Il continue à se plier aux exigences de la prude société victorienne, et à mitonner des petites histoires dans la veine classique, pour amuser ses copains lors des dîners de la Compagnie des Beefsteaks.
La "libération" whitmanienne n'a pas eu lieu, au contraire : ses protagonistes errent entre le monde des morts et celui des vivants, tombent dans les pièges mortels, ou dans les griffes des puissances occultes.
Les succès de Stoker sont tous relatifs. "Dracula" est devenu très populaire, mais la critique officielle l'a condamné, et sa représentation théâtrale fut un flop. Sa carrière de régisseur du Lyceum Theatre était plutôt marquée par les "bas" que par les "hauts". Il a réussi à piquer Florence Balcombe, "la plus belle femme de Londres", à Wilde, mais le seul véritable gagnant dans cette affaire était encore Wilde ; le mariage n'était pas heureux.
Florence était tout de même une femme résiliente, et le couple traversa leur vie commune discrètement, sans aucun scandale public qui aurait pu rappeler celui De Wilde. Elle s'occupa par la suite de la succession de son mari, et c'est aussi elle qui nous a sorti d'un tiroir oublié les quatre histoires de "L'enterrement des rats et autres nouvelles".

Il ne faut jamais désespérer, et ce recueil était une tentative supplémentaire pour trouver quelques qualités aux histoires fantastiques de Bram. Je n'ai aucun problème avec la "suspension d'incrédulité", tant que l'histoire elle-même reste cohérente ou au moins plaisante à lire. Mais ce fut encore la Bérézina.
"L'Enterrement des rats" commence pourtant de façon prometteuse, par une description assez réussie du milieu des chiffonniers de Paris. le narrateur, sportif et curieux, se rend au sinistre quartier de Montrouge, bavarde gaillardement avec une vieille chiffonnière et subitement, il se sent en danger (?). La suite consiste en une course-poursuite inextricable par monts et par vaux, et si j'ai compris une chose, c'est que Bram a pu victorieusement placer sa percutante phrase finale.
"Une prophétie de bohémienne" s'accomplira... à sa façon. Un jeune époux follement épris de sa femme se rend par curiosité au campement romantique des bohémiens, et ce que révèlent les lignes de sa main est proprement terrifiant. Sa tendre et fragile épousée ne doit rien savoir, jamais ! Inexplicablement, le mari déballe tout aussitôt rentré, et après force faiblesses, gémissements et pâmoisons, voici la jeune péronnelle qui court à son tour, incognito, au ledit campement... pour apprendre la même chose. La situation se corse ! Si vous êtes prêts à accepter la scène-clé avec la dague exotique, noyée dans du jus de boudin, l'histoire passe. Les autres, y compris moi, iront bramer leur détresse à la lune avant d'entamer la suite.
Et voici "Les Sables de Crooken", un récit qui commence de façon délicieusement poilante. Un riche citadin veut passer ses vacances en Ecosse, et le costume traditionnel qu'il se fait confectionner pour l'occasion devient la risée de sa famille et des Ecossais. Je me suis vraiment amusée, jusqu'au moment où l'histoire se transforme en fantaisie complètement brindezingue sur un doppelganger spectral... ah, comme je disais plus haut, je suis prête à suspendre mon incrédulité, mais le dénouement des "Sables" transgresse tout de même les limites acceptables de la capillotraction.
"Le Secret de l'or qui croît" est un passionnant medley à la Poe, à mi-chemin entre "Le Chat noir" et "Le Coeur révélateur", bramatisé dans le style "rédaction de 6ème : Imagine ton propre récit fantastique".
2/5. Un pentagramme pour "Florrie" Stoker, qui a permis la lecture de ces histoires aux ingrats curieux dans mon genre. Et l'autre va tout de même à l'auteur ; malgré tout, ces histoires dépassent toujours de loin la production de son arrière-petit-neveu Dacre, et son odieuse suite "officielle" de "Dracula".
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