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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai lu les premières pages dans un profond sentiment d'incompréhension. Roman polyphonique, ce livre fait alterner les voix de trois hommes blancs et de trois Papous, et il faut se familiariser un peu avec le parler des habitants de ces îles de la mer des Salomon, comprendre que l'officier Cawdor est appelé « Misa Kodo », que le jeune Mr. Dalwood ne fait qu'un avec « Misa Dolu'udi » et que le planteur McDonnel a pour nom « Misa Makadoneli » chez les Kiriwinas. le texte est émaillé de mots, voire de phrases, non traduits et quand ils le sont, c'est littéralement, sans effort de transposition, tels « Mon chagrin pour toi ».
Voici donc le lecteur (en l'occurrence la lectrice), balancé comme si ça ne suffisait pas in medias res, qui tente de comprendre désespérément quelque chose à la situation avant de saisir que l'essentiel est justement là: ces cinq hommes (dont un traducteur) et cette femme vivent les uns à côté des autres et ne se comprennent pas. Ils s'observent, s'étudient, interprètent. Mais ils ne se comprennent pas.
Le lecteur, au début, se raccroche à ce qu'il connaît et met cette étrangeté sur le compte du décalage culturel:
« — Vieille femme, j'ai dit, tu m'es toujours étrangère.
— Et tu m'es étranger », elle a dit. La lampe a balancé au bout de son bras grêle et elle a baissé les yeux sur mon corps, en souriant à demi. « La peau d'un étranger, elle a dit. Ô ta peau. Il n'y avait rien d'aussi doux, autrefois. Tu étais comme un porcelet nouveau-né. »
Mais les lignes de fracture ne se contentent pas d'opposer trois sujets de la reine Élisabeth II et trois Papous dubitatifs: haines, désirs, rivalités, suspicions font naître des alliances éphémères qui masquent mal la solitude des protagonistes. Cawdor, qui parle la langue des Kiriwinas, est aussi celui qui, en abandonnant toute posture, est le plus démuni: colonisateur qui se fond dans la culture du dominé, mâle cocufié et abandonné, il est considéré comme un "Martien" totalement étranger à la vie sur Terre.
Or, le culte du cargo, forgé par l'abondance des biens apporté par les Occidentaux par mer puis par air a créé un syncrétisme particulier dans les îles Salomon où le Christ en croix peut être remplacé par un pilote mort dans sa cabine de pilotage. Quand, en 1959, un O.V.N.I. est observé par plusieurs communautés, que faut-il en penser? Est-ce un Spoutnik ou la confirmations des croyances messianiques? Pour Cawdor, la révélation est sidérante: "On n'est pas seuls, il a gueulé. Ah, gros ballot, tu le vois donc pas? On n'est pas seuls."
Il s'agit donc de réparation: du retour au temps ancestraux où les Blancs n'avaient pas encore volé ce qui appartenait en commun à l'humanité; du retour à la matrice où les êtres étaient unis et non séparés.
C'est l'histoire d'un homme qui s'effondre en même temps qu'une génération figée dans ses coutumes, incapables de faire face aux changements et d'aller de l'avant.
C'est l'histoire d'un peuple et c'est aussi celle d'un homme, et la force de ce roman incomparable est que le récit ethnographique n'est jamais la métaphore de la dérive de Cawdor; ils existent fermement tous deux, se complètent et se répondent sans que jamais l'un soit au service de l'autre.
Qui sont ces "visitants" du titre? Sans doute la figure de l'altérité, qui nous interroge et peut nous détruire, et à laquelle pourtant nous devons bien nous confronter.
Cawdor n'y parviendra pas: sa mort annoncée dès le prologue, et dont l'enquête ne parviendra pas à éclaircir les zones d'ombres, ajoute à la tragédie de l'incommunicabilité, tandis que de plus jeunes -et de plus forts- deviendront les nouveaux héros de ce qui se définit finalement comme un roman de formation. Les forts vivront mais c'est le plus faible qui nous déchire le coeur.
Alors, pourquoi Stow est-il si peu connu? Ça me dépasse. Ce livre est un concentré d'intelligence à lire et à relire en sachant qu'on n'en épuisera jamais les mystères.
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Un roman déstabilisant. C'est le seul terme que je trouve pour parler de cet objet littéraire qui m'a tenue en éveil des jours durant - il n'est pourtant pas bien long - et qui m'a entraînée dans les tours, les détours, les spirales d'une bien étrange histoire.
Ou de plusieurs. Car le récit de Randolph Stow se partage entre plusieurs voix, comme un chant polyphonique. La voix d'hommes blancs, la voix d'hommes noirs. Des femmes, aussi. C'est que la situation est inextricable, et chacun a son point de vue.
Nous sommes à la fin des années 1950, sur l'île de Kaliuana, archipel des Trobriand. Chez les Papous, pour faire simple. Sous tutelle australienne, pour compliquer un peu les choses. Alistair Cawdor et son stagiaire fraîchement débarqué, Tim Dalwood, viennent faire le tour des villages locaux pour le compte de l'administration. Logés chez un vieux planteur, MacDonnell, ils vont inspecter les alentours, recueillir les doléances des autochtones, prendre la température de ce bout de terre au bout du monde.
La fièvre, voilà ce qui les attend. Car le vieux chef local est un rusé renard, qui s'accroche au pouvoir tant qu'il le peut et contrarie les plans de son neveu, son successeur naturel, pour favoriser un homme étrange venu d'on ne sait où. Un homme aux yeux immenses, qui vous fixe comme s'il voulait vous jeter un sort. Et puis il y a cette rumeur insistante, qui parle d'autres visiteurs encore que les dimdims, les hommes blancs. Des visiteurs venus des étoiles. Quelque chose de terrible se prépare, en tout cas. N'a-t-on pas retrouvé les pierres sacrées déplacées de leur arrangement coutumier ? La peur transpire de tous les témoignages. Même la jeune servante du planteur, habituellement insouciante, commence à ressentir un malaise persistant. Cawdor lui-même, qui a pourtant une longue habitude des tribus et de la politique locale, s'y perd quelque peu; alors que dire de Tim, qui multiplie les bévues par ignorance des coutumes ? Et l'assistant papou qu'ils sont contraints de traîner à leur suite ne leur facilite pas les choses, avide qu'il est de la moindre parcelle de pouvoir ...
Au total, on est désorienté autant que ces visiteurs , et l'on ressent un sentiment d'urgence qui croît inéluctablement, doublé d'un sentiment d'impuissance, jusqu'au tragique dénouement.
Une grande histoire au total, magistralement racontée, et qui a valu un prix bien mérité à son auteur.

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Vertigineux, incontournable. Ouvrez-le, lisez-le, plus rien ne sera comme avant cette lecture polyphonique.
Les voix annoncent, dévoilent l'idiosyncrasie d'une île de Papouasie, celle de Kailuana, australienne. Les habitus, les étoiles dans les yeux, les battements d'ailes d'une île empreinte de force, de ténacité, de courants d'air et d'évènements qui vont tout brusquer.
On aime l'aura d'Alistair Cawdor. Cinq témoins sont interrogés par l'administration coloniale. Apprendre le nom : Alistair Cawdor. Dévoiler cet homme emblématique. Chacun (e) apporte sa pierre à l'édifice. du sable en main qui va s'écouler. L'épars d'une vie entre leurs lèvres. le rideau se lève sur un récit d'une beauté inouïe, doux et triste. Intransigeant de par son style, magnifique et engagé, précieux et inclassable. La poésie comme un chant triste. le déroulement de la vie d'Alistair Cawdor et tout ce qui a contré ou enchanté cette île d'une fraternité exemplaire. Un homme debout. Une figure inestimable et érudite. Un être épris de valeurs. Des myriades de délivrances. D'aucuns somment. Tous dévoilent une île et ses risques et complications. Jusqu'à cette machine-étoile aperçue en pleine voûte lactée et qui a dévoré trois des leurs. Serait-ce un mythe ? La vérité ? Une métaphore ? La trame est époustouflante.
« La lumière tombe à travers les persiennes, toute verte de feuilles. La piste de ses pas brille sur les nattes. Si tu ne savais rien de cette maison, tu saurais quelque chose de lui par ce scintillement. Tu dirais : il y a quelqu'un ici qui marche, marche entre les persiennes ».
La narration est un parchemin. L'imprévisibilité de l'advenir. le temps présent tiré au cordeau. Les voix chorales sont des fleurs qui s'entrouvrent subrepticement. Les parfums comme des illusions. La beauté comme point fixe. Alistair Cawdor, par lui tout arrive. L'électrochoc des dires et Randolf Stow élève ce macrocosme verbal avec une maîtrise au paroxysme des possibilités. L'art majeur et les connaissances exquises de cette île sont ici souffle réel et d'une valeur spéculative. L'île est l'épicentre de ce récit fabuleux et protégé, comme un parc naturel classé. Les rémanences des paroles annonciatrices sont un chant méconnu des lecteurs. On est sonné sous le charme et cette capacité extraordinaire (c'est bien le mot), d'écriture.
C'est le culte qui retourne le sablier. Magistral et dans cette temporalité, chère à la littérature. « The Visitants » est un chef-d'oeuvre indescriptible. Ce serait le trahir que de dire son poids immense sur nos vies. Julian Randolf Stow a publié ses premiers poèmes à l'âge de six ans. Il reçoit une deuxième Médaille d'or de la Société littéraire australienne, ainsi que le Miles Franklin Award : prix littéraire le plus prestigieux d'Australie. Il est salué par la critique comme « le plus invisible des grands romanciers australiens du XXe siècle ».
« The Visitants » est salutaire. L'épiphanie d'une île et de ses hôtes. Époustouflant, il est une chance éditoriale hors norme. Traduit à la perfection par Nadine Gassie. L'introduction par Drusilla Modjeska « Ils apportent leurs quelques-choses » est apprenante. On aime retenir cette dédicace d'Alistair Cawdor sur un livre « Histoire de la conquête du Mexique » laissé pour Dalwood avant son suicide : « Ne regrette rien. Tout ira bien, oui, toutes sortes de choses iront bien ».
Le génie littéraire !
Publié par les majeures éditions Au Vent des îles.
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C'est encore une fois une aventure dépaysante que nous proposent les éditions Aux vents des îles , avec une enquête sur une reculée l'île de Papouasie, appartenant encore à l'Australie, afin de faire la lumière sur le suicide d'Alistaire Cawdor.

Cinq voix, cinq témoins se relaient afin de reconstituer les événements et les mystères des jours précédents ce tragique événement.

Une construction narrative originale qui permet d'étudier différents points de vue, sur l'environnement naturel flamboyant, mais aussi sur les différentes relations, les tentions, les secrets, les non-dits entre les différents protagonistes. Ce livre tisse avec brio les liens culturels et sociaux qui divisent et qui rassemblent les colons et les autochtones.

Une île envoûtante tant dans l'éclat de sa flore et sa faune local, que dans ses traditions, son langage propre fidèlement restitué, que dans la force de ses personnage, notamment de cet Alistair Cawdor, personnage central de cette histoire, qui telle une étoile flamboyante ébloui ceux qui croisent sa route tout comme le lecteur.

Il faut aussi vous parler de cette étrange machine-étoile, objet non identifié aperçu par une quarantaine d'habitants de l'île... Est-ce une piste à envisager, une diversion, une métaphore...

Un livre incroyablement construit, envoûtant, déconcertant, profondément humain tout en restant proche de la nature, un roman polyphonique d'une modernité incroyable (écrit en 1979) que fait revivre pour nous les éditions @ , maison d'édition qui fait ressurgir du passé comme elle fait nous offre, ces voix océaniques accompagnées de toute leur culture.
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Randolph Stow est un auteur pratiquement inconnu en Europe alors que c'est un auteur culte en Australie. Il a remporté le prestigieux Prix Patrick White en 1979. Ce prix a été créé par Patrick White à l'issue du prix Nobel qu'il a reçu en 1973. Il récompense un écrivain pour l'ensemble de sa carrière mais dont l'oeuvre n'a pas été suffisamment reconnue.

Grâce à son parcours professionnel, Randolph Stow a pu approcher de près les cultures autochtones de Papouasie, au point d'apprendre leur langue, le kiriwina. Ce roman témoigne d'une grande sensibilité et de bienveillance à l'égard de ce peuple, ainsi que d'une volonté de rendre compte de leur structure sociale sans l'aseptiser ni la caricaturer.

Deux officiers du district d'Osiwa, sur une île reculée du Pacifique, doivent aller à la rencontre des différents villages dans les îles alentours pour effectuer un recensement. le plus aguerri, Cawdor, doit initier la nouvelle recrue, Dalwood. Cawdor connaît déjà tout le monde et assume son rôle de représentant du gouvernement tout en entretenant des relations cordiales voire amicales avec les Papous.

Dalwood est plutôt chien fou, excité par cette nouvelle aventure. Il doit encore apprendre les codes, manque souvent de tact. Mais rapidement, il est fasciné et intéressé par la culture indigène. Il n'a que dix-neuf ans et on sent qu'il fera un très bon agent, sachant se faire respecter tout autant qu'il respecte les Papous.

Une ombre au tableau cependant : Cawdor s'est suicidé. Tout le roman raconte les jours qui ont précédé ce tragique évènement. Cinq voix témoignent tour à tour, apportant leur éclairage sur les faits et sur l'atmosphère. Il y a les Blancs (dimdims) Dalwood et Macdonnell, un planteur installé depuis si longtemps qu'il fait partie du décor. Osana, le traducteur. Et Saliba et Benoni, deux Papous. Salina travaille pour Macdonnell et a un caractère de feu. Quant à Benoni, il est pressenti pour remplacer son oncle en tant que chef, mais des querelles intestines risquent de compromettre son avenir.

The visitants touche aussi à une croyance autochtone, le culte du cargo, qui tend à penser que des biens vont arriver, à l'instar des cargaisons immenses des blancs arrivées comme par magie, grâce à des rites. Il y a même une église avec un aviateur suspendu, ce qu'on peut trouver chez certains peuples païens. Les visiteurs qui donnent son titre au roman sont ces blancs, ces étrangers, mais aussi des visiteurs venus du ciel, car il semblerait qu'un objet volant non identifié avec des êtres visibles à bord survole parfois les plages de l'archipel.

Il n'est pas évident de rentrer dans le roman mais une fois la phase d'acclimatation passée, on est totalement aspiré par le souffle épique vertigineux, extrêmement dépaysant. Grâce à son attrait sincère pour la culture indigène, Randolph Stow parvient à créer une histoire qui nous ancre dans ce coin du monde, avec ses différences, ses particularités. L'emploi de la langue kiriwina et de ses expressions, utilisées avec une régularité qui nous les rend familières, est habile et colore agréablement le récit, lui donne encore plus d'authenticité.

Il y a vraiment de tout dans ce roman : une excellente intrigue, une polyphonie admirablement orchestrée, une écriture savoureuse, des personnages charismatiques et attachants malgré eux.

C'était une lecture magnifique, qui m'a totalement transportée et conquise. Une lecture d'autant plus marquante que je ne m'attendais pas à un tel coup de coeur.

Bravo et merci aux éditions polynésiennes Au vent des îles pour ce bel ouvrage qui me donne envie de poursuivre ma découverte de leur catalogue.
Lien : https://lejardindenatiora.wo..
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