Il planait dans le ciel bleu, volant de ci-de-là au-dessus des
champs de blé doré, des montagnes aux cimes recouvertes de
neige, des fleuves s’écoulant vers la mer. Il se tenait fermement
aux brides d’attache de la chaussure, son cuir verni écarlate le
protégeant des vents violents en haute altitude. Il était bien au
chaud dans cet escarpin de haut vol, dont l’élégante cambrure le
protégeait d’une chute, et dont la pointe aérodynamique fendait
l’air avec aisance… Elle était à côté de lui, ses dents blanches
riant du plaisir de voler à deux, ses yeux clairs étincelant dans la
nuit. Il sentait les boucles de ses cheveux soulevés par le vent
caresser sa joue ; son sein rond appuyé contre son bras était
d’une douceur sans pareille…
Sébastien se réveilla en sursaut, la bouche pâteuse, ahuri de son
rêve extravagant. Il faisait encore nuit. La ville dormait encore,
sans aucun bruit sous les fenêtres entrouvertes sur la rue. Il se leva
pour aller boire, maugréant tout seul, marchant nu sur le parquet
froid de l’appartement silencieux dans la pénombre.
C’est à ce moment qu’il aperçut une jolie paire de jambes
féminines gainées de bas couleur chair, posées sur de magnifiques
chaussures rouges à hauts talons très fins. La démarche était vive,
presque joyeuse ; les chaussures se déplaçant rapidement le long
de la fenêtre avec une grâce légère, une assurance rare, se posant
dans une danse inaudible sur le macadam, longeant le bâtiment et
défilant le long des vitrages pour disparaître à la dernière fenêtre
en un éclair.
Sébastien qui s’était levé pour mieux suivre leur course
magique, se rassit lourdement, hébété par cette vision sublime. Il
posa ses yeux sur son écran et regarda l’heure : il était 8h.12.