J. E. Hoover a été directeur du FBI du 10 mai 1924, quand l'organisme gouvernemental n'était alors que le Bureau d'Investigation, jusqu'au 2 mai 1972. Quarante-huit années de l'histoire des Etats-Unis ( soit au jour de sa mort, près d'un quart de l'histoire totale du pays) durant lesquelles Hoover a servi et a été en conflit ave huit présidents de Calvin Coolidge à
Richard Nixon en passant par son homonyme prénommé Herbert, Roosevelt, Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson, passant d'une administration républicaine à une administration démocrate, indétrônable à ce poste stratégique durant un mandat à rallonge que d'aucuns ont jugé interminable.
Se voulant au dessus des partis, n'ayant jamais voté alors qu'il avait des convictions politiques conservatrices très affirmées sur lesquelles il s'est constamment appuyé tout au long de sa carrière, Hoover a été le grand flic de l'Amérique, celui qui a fait du FBI un organisme puissant, efficace et moderne mais aussi celui dont les méthodes, l'appétit de pouvoir et la mégalomanie paranoïaque, assortis d'une vie secrète honteuse, ont été fort critiqués surtout après son décès.
Dès sa première affectation à la Division des Mesures de Guerre à la fin du premier conflit mondial, il enfourche un cheval de bataille dont il ne descendra plus jamais, celui de la chasse aux Rouges. Contre le parti communiste américain et les groupuscules révolutionnaires d'extrême gauche, J. E. Hoover va lancer une croisade qui atteindra son paroxysme dans les années 50 avec la période du maccartisme. Cette lutte, au plus fort de la guerre froide, à une époque où la crainte de la bombe atomique soviétique, la guerre de Corée et l'affaire Rosenthal effrayaient l'opinion publique américaine à un point tel qu'elle était prête à accepter une restriction des libertés individuelles menacées par des méthodes qui ont valu au FBI d'être parfois comparé à la Gestapo ou au NKVD par des journaux comme le
Washington Post ou le New-York Times, a fait de lui un véritable héros populaire, tout comme le combat souvent sanglant mené contre le grand banditisme des Capone, Baby Face Nelson et autres Dillinger durant la Dépression des années 30 lui avait conféré une grande notoriété.
Si au fil des années, la puissance politique de Hoover n'a cessé de croitre tout comme la crainte qu'il inspirait aux Présidents, sénateurs, représentants du peuple sur lesquels il détenait des dossiers compromettants souvent de nature sexuelle et qu'il faisait chanter pour conserver son poste ou obtenir des avantages personnels ou pour ses amis, magnats de l'industrie pétrolière, les années 40 et 60 ont pourtant été difficiles pour lui. Durant la guerre, il a commis une grave erreur en ne prenant pas au sérieux des informations sur l'attaque de Pearl Harbor et sa rivalité avec le colonel William J. Donovan pour unifier les services de renseignements tourne à l'avantage du militaire, chef de l'OSS puis de la CIA contre laquelle Hoover s'est souvent battu. Avec l'arrivée au pouvoir des Kennedy, qu'il exécrait, il s'est heurté de front à un président et à un ministre de la Justice qui le remettent à sa place, portant ainsi un coup à son égo démesuré mais surtout en lui imposant de mettre le FBI en état de marche pour lutter avec efficacité pour les droits civiques et contre la discrimination raciale et pour combattre le crime organisé, alors que la haine viscérale qu'il porte au leader noir charismatique
Martin Luther King n'a d'égale que sa conviction profonde que les noirs ne sont bons qu'à être domestiques et que le crime organisé n'existe pas et qu'il n'est qu'une vue de l'esprit. Sans doute, en ce qui concerne ce dernier, parce que la Mafia prétendait détenir des preuves compromettantes de sa liaison avec son adjoint Clyde Tolson qui fut son compagnon de vie cachée à partir des années 30 et aussi parce qu'elle était fortement imbriquée dans les machines politiques urbaines qu'il ne fallait pas contrarier.
La fin des années 60 et le début des années 70 correspondent à celles du déclin où le vieil homme, fatigué et presque sénile selon certains, s'accroche pourtant désespérément à son poste alors qu'il a perdu la confiance de son vieil ami Nixon, bientôt empêtré dans le scandale du Watergate, et surtout le contact avec l'opinion publique du pays définitivement acquise aux droits civiques et opposée à la guerre au Vietnam.
Dans la biographie qu'il consacre à l'emblématique patron du FBI,
Anthony Summers ne se départit pas du style volontiers racoleur dont il a fait sa marque de fabrique et que nous retrouvons dans ses ouvrages sur
Sinatra et
Marilyn Monroe. Il y dresse le portrait d'un homme profondément corrompu, qui vivait aux frais du contribuable, accro aux courses et aux paris, manipulateur aux amitiés douteuses, hypocrite homosexuel qui n'a cessé de se cacher et de mener la vie dure à ceux dont l'orientation sexuelle n'était pas admise à l'époque. de nombreux biographes de Hoover ont noté que la perversion sexuelle a été un thème constant dans les écrits du Directeur sur les criminels, les communistes, les mouvements des droits civiques et si l'homosexualité de Hoover ne fait plus vraiment aujourd'hui objet de débat, c'est sur ce point que l'auteur s'étend avec beaucoup de complaisance en produisant des témoignages sujets à caution et que de nombreux historiens réfutent absolument. En effet, point n'était besoin de faire de l'homme un travesti et un pédophile pour dénoncer ses agissements politiques et son implication plus ou moins importante dans quelques unes des plus grandes tragédies des Etats-Unis ou pour montrer que les puissants sont souvent arrogants, hypocrites et vulnérables, et veulent contrôler la vie des autres sans avoir de maîtrise sur la leur propre. C'est une autre constante de l'auteur, par ailleurs finaliste du prix Pulitzer, de vouloir dépouiller les riches et les élites de la respectabilité qu'ils se sont offert en révélant qu'elle n'est qu'une façade frauduleuse pour mieux dénoncer l'incurie des privilégiés qui font l'histoire. Il conclut d'ailleurs son ouvrage en affirmant que la société doit se rendre compte que le système mis sur pied par Hoover, dont le tempérament, le caractère et le comportement pouvait se rapprocher de ceux de Himmler selon un psychiatre, n'a pu perduré durant un demi-siècle qu'à cause de la caution apportée par tous les hommes qui ont été au pouvoir et qui y ont aussi trouvé leur compte. En me relisant je constate que j'ai naturellement écrit "à cause" et non "grâce" comme pour mieux noter l'aspect négatif de cette collusion qui malheureusement semble aujourd'hui encore d'actualité.