Yohan se tenait accoudé au comptoir en zinc, tentant désespérément d’accrocher le regard de la serveuse. Elle avait vingt ans de moins que lui, un corps svelte, et l’entrelacs sombre de ses tatouages dansait sur sa peau claire.
Demain, je serai ailleurs, pensa-t-il en commandant un vieux rhum, son quatrième depuis qu’il avait échoué dans ce rade de la rue Montmartre.
Il fit rouler le liquide ambré dans son verre, observant les petites vagues se coller à la paroi en larmes grasses.
— Demain vous irez tous vous faire foutre !
La vieille ville, l’église, la station-service, les routes, tout laissait penser que cet endroit avait une histoire rongée par l’entropie. Une histoire attisant la curiosité et sur laquelle il faudrait qu’il se renseigne. Après une longue pente raide serpentant entre d’immenses pins et une poignée de chênes-lièges, il bifurqua sur un côté pour rejoindre la rivière.
Combien de fois s'élaiti retrouvé dans cette situation, incapable d'exprimer ses sentiments et ses désirs? Quelle blessure invisible pouvait bien justifier ce mécanisme de défense? Il était condamné à rester en retrait, espérant que l'autre fasse le premier pas.
Nous avons également tous ces romans. Chacun d'entre eux contiennent un monde vers lequel nous évader.
Mais les gens ont eu besoin de trouver quelqu'un contre qui tourner leurs colère. C'est dans la nature humaine de se défouler sur autrui.
Sauf que cette fois, Yohan décida qu'il n'avait rien à perdre et il se lança vers la route, bien déterminé à découvrir ce qu'on désirait tant lui cacher.
Puis il retourna se coucher avec le sentiment d'avoir vécu un moment précieux et dormit d'un sommeil paisible jusqu'aux premières lueurs de l'aube.
Là il avait réussi à rentrer en contact avec plusieurs personnes nourrissant le même projet que lui: disparaître comme ces milliers de Japonais qui chaque année se volatilisent du jour au lendemain, et que l'on appelle les "évaporés"